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peuple les ossemens du saint. À côté de l’abbaye, s’élève une église, bâtie au commencement du XIe siècle, et où l’on peut admirer encore des statues, des bas-reliefs, des pierres tombales. C’est justement cette église que le conseil municipal se proposait, il y a deux ans, de cacher par la construction d’une école ; et c’est sur la protestation de quelques bien avisés partisans des beautés et des vertus du passé, soutenus par l’intervention de Maurice Barrès, que fut empêché le sacrilège, d’ailleurs si inutile.

Le nom de Guillem domine la littérature du Midi, comme le nom de Charlemagne domine celle du Nord. Il y a plus de quarante ans, Léon Gautier, l’auteur des Épopées Françaises, écrivait : « Nous espérons que le théâtre s’emparera de Guillaume comme il s’est emparé de Roland, et qu’un dramaturge puissant introduira sur la scène l’illustre vaincu d’Aliscans. » Frédéric Fabrège ajoute qu’Henri de Bornier lui avait communiqué le projet, auquel il songeait sans cesse, de composer ce drame dont saint Guillem eût été le héros et dont la vallée de Gellone eût fourni le décor principal. « Ce Guillaume est un géant qui a sauvé la France, et notre oubli ressemble à de l’ingratitude. » (Léon Gautier.)

Toutefois, Guillaume ne fut pas le premier à découvrir cette Thébaïde du Verdus. Avant lui, s’y était installé un autre guerrier, homme de meurtre et de débauche, qui dans l’imagination populaire a gardé le nom du Géant et aussi de Don Juan. Cet homme avait bâti sur le sommet d’un pic un château imprenable, dont l’unique chemin serpentait parmi les pierres, sur les bords du précipice. Là, il vivait bien heureux, sans peur et sans scrupule, pressurant les campagnes, s’en allant, lorsqu’il avait dépouillé de leurs biens les gens du voisinage, porter avec sa bande de brigands jusqu’à Ganges, en amont, ou en aval, jusqu’à Aniane, ses déprédations et ses cruautés. Guillaume résolut de délivrer d’une aussi basse tyrannie cette région des Cévennes. Une sorte de poème, une complainte rapporte qu’il n’eut point de peine à convaincre une des servantes de ce malfaiteur de l’assister dans son entreprise charitable. Elle consentit à hisser Guillaume, un soir, au moyen d’une corde et d’un panier d’osier, jusqu’au château : dans la nuit, il tua pendant son sommeil le géant redouté. Une autre légende rapporte simplement que Guillaume eut le courage, un jour que le Géant