Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/917

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Orléans qui amena la mort tragique du duc de Montmorency. Armand de Bourbon, prince de Conti, n’habita guère que la Grange des Prés, à une lieue du château, au milieu d’une cour de gentilshommes, d’artistes, d’écrivains. C’est alors que Pézénas devint ville d’États. Chaque année, on vit arriver des points les plus éloignés de la province, du Gévaudan, du Vivarais, de l’Auvergne, les délégués aux États du Languedoc. « Les uns descendaient de leurs montagnes en traîneaux ou dans des litières à mules, figuettes et vinaigrettes aux panneaux historiés ; d’autres entraient en ville au bruit de leurs carrosses attelés de quatre chevaux, précédés de piqueurs élégans, ou plus modestement dans les grosses diligences qui avaient à Pézénas, centre des routes principales du royaume, un de leurs plus importans relais[1]. » « Nous ne nous rendons pas compte de la signification de ce mot : ville d’États, au temps de Louis XIII et durant la minorité de Louis XIV. Qu’on imagine toute l’élite d’une province, et, comme présidens, commissaires du Roi, les plus hauts dignitaires de la Couronne venant se fixer pour une session dans une cité, envahissant ses logis, emplissant les rues de carrosses, de valets, de chaises à porteurs, de mules empanachées ; les boutiques pleines ; à tout propos, des visites avec grand appareil, officiers, clergé, barons, consuls, huissiers, massiers, défilant d’après l’étiquette sous les baudriers, les cuirasses niellées, l’hermine, les dentelles, la soie, le velours, les robes rouges et les habits couverts de hauts galons ; chaque matin, messe en musique, violons par trois douzaines ; le soir, bals, tragédie et comédie[2]… »

C’est à la Grange des Prés, chez le prince de Conti, que Molière séjourna pendant trois années, 1653, 1654, 1655. C’est devant les Messieurs des États du Languedoc qu’il joua des farces, des petites comédies, dont on a conservé seulement les titres, le Docteur amoureux, le Maître d’École, les Trois Docteurs rivaux, et qui certainement lui servirent plus tard à composer le Médecin malgré lui, George Dandin, le Mariage forcé. C’est à l’hôtel d’Alfonce, baron de Clairac et d’Entraigues, grand prévost de Guyenne, dans la rue qui porte aujourd’hui le nom de Conti, qu’il donna pour la première fois le Médecin volant, puis la Farce des Précieuses, qui est le canevas des

  1. A.-P. Alliès, Pézénas, ville d’États.
  2. Charles Ponsonailhe, Nouvelle Revue, 1897.