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étonné, c’est l’empereur Guillaume : indigné sans doute, mais encore plus étonné. Il ne s’attendait certainement pas à ce contre-coup lointain de la guerre qu’il a déchaînée en Europe. L’initiative japonaise soulève un grand nombre de questions que nous ne pouvons pas traiter ici en ce moment : remarquons seulement avec quelle surprenante maîtrise l’Allemagne a trouvé le moyen de se créer des hostilités dans le monde entier. C’est le résultat naturel de sa politique mondiale. Malheureusement pour elle, elle avait oublié quelques élémens du problème dont elle avait entrepris la solution. Quand on fait de la politique mondiale à une aussi longue distance, il faut, de deux choses l’une : ou être d’accord avec l’Angleterre, ou être plus fort qu’elle sur les mers. L’empereur Guillaume avait négligé de se mettre d’accord avec l’Angleterre et, s’il espère bien être un jour plus fort qu’elle sur les mers, il ne l’est pas encore. L’Angleterre s’est parfaitement rendu compte de ses projets dans l’avenir, et le Japon, de son impuissance dans le présent. C’est ce qui explique suffisamment que le Japon ait déclaré la guerre à l’Allemagne. Pour se venger, l’Allemagne la lui a fait déclarer par l’Autriche : risum tencatis… Nous n’examinerons pour aujourd’hui cette guerre que relativement à celle où nous sommes nous-mêmes engagés. Le Japon aidera l’Angleterre et nous, ce qui sera d’ailleurs facile, à purger l’Océan Pacifique de la présence des navires allemands : l’œuvre est déjà commencée, et même avancée.

Ainsi l’Allemagne a des ennemis partout. Où sont ses amis ? L’Autriche ? Qui sait ? Tout ce qu’on peut dire est que l’Autriche marche avec elle. Son amie la plus sincère, — mais elle n’ose pas l’avouer, — est probablement la Porte ottomane. L’attitude de la Porte nous est à bon droit suspecte et la singulière aventure du Goeben et du Breslau n’est pas faite pour dissiper les soupçons qu’elle inspire. Cette fois encore, la place nous manque pour raconter, — mais elle est bien connue, — l’histoire de ces deux navires de guerre allemands qui, après avoir bombardé nos côtes algériennes, se sont réfugiés dans les Dardanelles et sont devenus turcs aussi facilement qu’on change un casque à pointe contre un fez. Ce tour de passe-passe n’a pas eu auprès de nous, — nous entendons par nous la France, l’Angleterre et la Russie, — le succès que semblait mériter son ingéniosité. L’incident s’est terminé à notre satisfaction : la Porte nous a priés de l’oublier et l’a qualifié elle-même de « déplorable ; » les deux navires ne prendront certainement pas part à la guerre, et, c’est tout ce que nous demandons quant à présent. Mais on sent un peu trop de quel