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fenêtres, ses blessés ont été achevés sur le champ de bataille ; on conviendra que de pareils actes exigeaient une vengeance immédiate et terrible !

C’est ce dont, au contraire, personne ne conviendra dans le monde civilisé. Quand même, — ce que nous ne croyons nullement, — les faits allégués seraient vrais, serait-ce une raison suffisante pour anéantir une ville et y a-t-il proportion entre la cause et l’effet ? Si on répond oui, il n’y a guère une ville que les Allemands, s’ils le veulent bien, ne seront pas en droit de détruire, car il n’y a en pas une qui ne contienne quelques hommes exaltés, déséquilibrés peut-être, égarés par patriotisme qui ne se contient plus. Moralement, ils ont des excuses, certes, mais on comprend que l’ennemi ne les accepte pas et qu’il croie une répression rigoureuse nécessaire et légitime. Eh bien ! qu’il l’exerce sur les malheureux imprudens, mais non pas sur toute une population, mais non pas sur les pierres mêmes d’une ville. Si des coups de fusil ont été tirés à Louvain, les soldats allemands n’ont-ils pas vu de quelle maison ils sont partis ? Sont-ils entrés dans cette maison ? Y ont-ils fait une enquête ? Ont-ils recherché les auteurs d’un acte à leurs yeux criminel ? Non, ils ont incendié la ville, détruit les maisons, démoli les édifices, réduit à néant des chefs-d’œuvre des plus grands maîtres. Ils étaient sans doute sûrs, en procédant ainsi, de ne pas, dans le tas, manquer les coupables. Mais les autres ? On se croirait reporté à la guerre des Albigeois et au mot sinistre : Tuez tout. Dieu saura reconnaître les siens ! Il y a eu un frémissement dans le monde à la nouvelle de la destruction de Louvain, et non seulement dans l’ancien, mais dans le nouveau. L’Amérique compte un trop grand nombre d’Allemands pour que l’Allemagne n’y ait pas des sympathies nombreuses ; cependant la distance, un milieu différent, les habitudes de pensée que donnent les mœurs de la liberté y affranchissent les esprits. Les Américains ont le sens pratique des Allemands, mais ils ont le respect du droit, ils se préoccupent de civiliser la guerre, de l’humaniser autant qu’il est possible, ce qui est toujours bien peu ! ils ont joué un rôle important dans les conférences de La Haye. L’opinion américaine a été profondément émue par le désastre de Louvain et désormais elle suit les incidens de la guerre avec un redoublement d’attention ; elle demande à être renseignée, à savoir, à être mise à même de juger et elle a le sentiment que son jugement aura quelque poids. La soldatesque germanique se moque de l’opinion américaine comme de tant d’autres choses, mais l’empereur Guillaume, qui y a toujours