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qu’on la laisse telle quelle, soit qu’on essaye de la relever, ce qu’on ne pourra faire que bien imparfaitement, sera à travers les âges le témoin de ce qu’a été, au commencement du XXe siècle, le grossier appétit de vengeance de l’Allemagne et sa barbarie attardée.

Nous ne savons pas quelle sera la fin des hostilités, à quel moment elle se produira, ni dans quelles conditions ; la victoire des trois alliés n’est pas douteuse, mais elle coûtera cher aux vainqueurs eux-mêmes en attendant les réparations de l’avenir, et il aurait été désirable qu’après les cruels déchiremens de l’heure présente, le mot de paix pût être prononcé avec vérité. Malheureusement, le caractère que l’Allemagne a donné à la guerre ne permettra pas à la génération actuelle, tout en écrivant le mot de paix dans un traité, sur « un chiffon de papier, » comme on dit à Berlin, d’en avoir le sentiment dans le cœur. Après avoir rendu la guerre inévitable, l’Allemagne l’aura rendue inexpiable. On en a vu autrefois qui laissaient aux deux belligérans un sentiment d’estime réciproque favorable aux rapprochemens futurs ; mais ici, rien de semblable. Chaque jour apporte un trait nouveau qui ajoute à l’horreur des anciens. Le dernier est la violation de la sépulture de la famille Poincaré à Nubécourt : des soldats allemands ont ouvert le caveau pour y jeter les cadavres de quelques-uns des leurs. Une pareille invention ne peut venir qu’à une imagination allemande : elle est ignoble et abjecte et, en dehors de l’Allemagne, ne peut inspirer que le dégoût. Ce sont là des choses que nous ne pourrons jamais oublier. Et quand nous disons « nous, » ce pluriel comprend la Belgique, l’Angleterre et la Russie et toutes les nations qui se respectent. Par tant d’infamies qui y ont été accumulées, cette guerre est devenue dès le premier moment une guerre d’extermination. Les Allemands l’avaient d’ailleurs annoncé avant même qu’elle fût ouverte : ils ne parlaient que de saigner la France à blanc et de l’anéantir pour plusieurs siècles. Ce qu’ils ont voulu que la guerre fût, elle l’est donc : si nous sommes vainqueurs, l’Allemagne sera mise pour longtemps dans l’impossibilité de nuire.

Les ministres anglais le disent très haut, avec cette franchise sans réticences qui leur est habituelle et ils expriment en cela l’opinion, la résolution de leurs alliés. Divers indices ont donné à croire que, si cette résolution a été quelque part ébranlée, ce n’est pas de notre côté, mais de celui de l’Allemagne. La coalition formidable qui se dresse contre elle ne laisse pas de l’inquiéter très sérieusement, très gravement même, et elle s’est demandé si elle ne pourrait pas diviser ses adversaires, obtenir le désistement de l’un d’entre eux,