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avec l’Allemagne, la reconnaissent désormais impossible et ne sont pas moins énergiques que les autres à conseiller une guerre à outrance. Une citation suffira ; nous l’emprunterons au Times, le grand journal de la Cité, qui passe avec raison pour refléter l’opinion moyenne de l’Angleterre qui travaille et fait des affaires : « Si les alliés, dit-il, parvenaient à repousser l’ennemi jusqu’au Rhin, qui est encore fort éloigné, nous sommes sûr qu’un désir de paix commencerait à se manifester à Berlin. Nous sommes également sûr que beaucoup de personnes mal inspirées, qui depuis dix ans ont trompé la nation britannique sur le but poursuivi par l’Allemagne, feraient entendre le même appel. Nous pouvons être absolument certain que, si nous consentions à traiter, nous devrions recommencer cette guerre dans cinq ans et dans des conditions bien moins favorables... C’est seulement quand la cavalerie des nations alliées passera Unter den Linden (Sous les Tilleuls, la plus belle promenade de Berlin) que la nation allemande comprendra que les rêves insensés de domination mondiale sont anéantis pour toujours. » Et c’est là le but que poursuit l’Angleterre. Elle ne veut pas avoir à recommencer cette terrible guerre et, puisque l’Allemagne, l’Allemagne seule, a pris la responsabilité de la déclarer, elle entend la pousser à ses dernières conséquences. On a tort de dire que la guerre a été voulue seulement par l’empereur, ou par la caste militaire, ou par les classes intellectuelles et dirigeantes en Allemagne : la vérité est qu’elle l’a été par le peuple tout entier. Que le peuple ait été trompé par une propagande sans scrupules, soit, mais dans l’erreur où on l’a induit, ses sentimens violens, ses ambitions jalouses et haineuses, sa présomption sans mesure se sont donné carrière. Le mensonge dont le peuple allemand a vécu est entré en lui si profondément que, pour en être extirpé, il faut une leçon de choses sur le sens de laquelle il ne soit plus possible de se faire illusion. Encore aujourd’hui, le peuple allemand est convaincu, parce qu’on ne cesse de le lui répéter, que ce sont la Russie, la France et l’Angleterre qui ont méchamment fait la guerre à l’innocente Allemagne, mais que celle-ci, grâce au Dieu domestique qui la protège, va de succès en succès sur les champs de bataille et marche glorieusement sur la trace des grands ancêtres. Cette fantasmagorie ne se dissipera-t-elle, comme le dit le Times, que lorsque le sabot de nos chevaux viendra frapper le sol de la promenade des Tilleuls à Berlin ? Il faudra certainement une démonstration aussi claire pour que l’Allemagne croie qu’elle n’est pas la première nation de l’univers, — et par la première elle entend la maîtresse de toutes les autres.