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montrer une fois de plus combien on a raison d’espérer, quand on est résolu à ne pas mourir. L’Autriche-Hongrie s’était juré de mettre à la raison le peuple serbe, c’est-à-dire de l’anéantir, et, vu l’immense supériorité de ses forces numériques, elle ne doutait pas de son succès. La Serbie n’était pas de taille à lui résister et dès lors, suivant la morale nouvelle inventée par la science allemande, c’était presque un crime de sa part de le tenter. Elle en serait châtiée, et rudement même, on pouvait s’y attendre, d’après les projets combinés à Vienne et approuvés à Berlin. Mais on y avait compté sans l’intervention de la Russie, qui a obligé l’Autriche-Hongrie à diviser ses forces et à en mettre une partie notable au service de l’Allemagne. L’Allemagne avait l’air de venir au secours de l’Autriche : en réalité c’était l’Autriche qui, obéissant aux exigences allemandes, se dégarnissait elle-même pour entrer dans les plans de son puissant allié. On verra mieux, après cette guerre, quel virus mortel il y a dans l’alliance allemande, ou plutôt on le voit déjà à Vienne et à Constantinople. Les espérances de l’Autriche ont été déjouées par l’événement. La Serbie lui a opposé des obstacles imprévus. Pour les vaincre, elle aurait eu besoin de toutes ses forces, mais l’Allemagne, elle aussi, avait besoin d’en conserver une partie en Pologne, et, les ayant sous la main, ne les lâchait plus. On raconte que M. Tisza est allé voir l’empereur Guillaume pour lui demander de rendre à la Hongrie ses légions : l’empereur Guillaume n’a rien rendu. Grâce à cela, la Serbie a pu prolonger une lutte qui, au premier abord, semblait si inégale.

Mais ce paradoxe pouvait-il durer indéfiniment ? La différence numérique entre l’Autriche et la Serbie ne devait-elle pas produire ses conséquences fatales ? Un jour est venu où l’Autriche, impatiente d’en finir et un peu honteuse de ne l’avoir pas déjà fait, a réuni des forces plus considérables pour un effort décisif. Celles de la Serbie commençaient à s’épuiser. Une guerre aussi longue, aussi difficile, aussi meurtrière les avait réduites dans les proportions les plus inquiétantes. Les amis de la Serbie tremblaient pour elle et, certes, il y avait de quoi. La chute de Belgrade a paru être la première scène de l’acte final de la tragédie. Depuis cinq mois, les Autrichiens bombardaient la ville, sans avoir encore réussi à y entrer. Enfin ils l’ont fait, et ce succès a été célébré par eux comme s’il avait été vraiment une grande victoire. En réalité, au point où en étaient les choses, il n’avait à peu près aucune importance militaire, mais on pouvait y voir un symptôme de l’écrasement prochain de la Serbie sous la botte autrichienne. On se reprit à respirer à Vienne et à Pest : le but princi-