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On l’a bien senti ou pressenti en Allemagne ; l’émotion y a été très vive ; une revanche a paru indispensable. En conséquence, une escadrille de zeppelins, ou peut-être de simples aéroplanes, — on ne sait pas au juste, il faisait nuit, personne n’a rien vu, — s’est rendue sur les côtes d’Angleterre et a laissé tomber des bombes sur les villes ouvertes d’Yarmouth et de King’s Lynn, après quoi, elle a pénétré dans les terres et a renouvelé le même exploit sur le château royal de Sandringham. Le Roi et la Reine y étaient quelques heures auparavant : les Allemands le savaient-ils ? on l’ignore, mais ils connaissaient certainement le caractère du château qu’ils avaient pris pour cible : ils ne feront croire à personne qu’ils l’aient confondu avec un établissement militaire. Au surplus, ils ne s’en embarrassent guère et les règles les plus usuelles du droit des gens ne sont pas pour les arrêter. Ils ont tué quatre malheureux dont une femme de soixante-douze ans et un enfant qui dormait dans son lit. Il y a eu, en plus, une dizaine de blessés. En présence de pareils actes d’inhumanité, on se demande : à quoi bon ? Quel effet les Allemands cherchent-ils à produire par des actes semblables ? Les aéroplanes et les dirigeables ont rendu, comme éclaireurs, de précieux services pendant cette campagne, mais, comme lanceurs de bombes, ils ont fait complètement banqueroute. On avait annoncé de leur part des choses formidables, on n’en a vu que de pitoyables, et cette dernière expédition germanique n’est pas de nature à modifier ce jugement. Réflexion faite, il est à croire que les Allemands, en inquiétant les Anglais sur leur propre territoire, espèrent les empêcher d’envoyer des armées sur le continent ; mais pour atteindre ce résultat, il faudrait inquiéter les Anglais bien davantage. Quand Napoléon organisait la flotte de Boulogne, on a éprouvé quelque appréhension en Angleterre et si aujourd’hui l’empereur Guillaume avait une flotte assez puissante pour être maître de la mer du Nord ou du Pas de Calais, ne fût-ce que pour quelques heures, le même sentiment se réveillerait sans doute ; mais aussi longtemps que l’Empereur ne disposera que d’un jouet malfaisant, tout au plus capable de faire une demi-douzaine de victimes, les Anglais auraient tort de prendre au tragique ce qui ne mérite même pas d’être pris au sérieux. La barbarie des Allemands fait horreur, elle peut provoquer de la colère mêlée de mépris : mais qui pourrait s’en alarmer ?

Ont-ils senti que, pour se faire craindre, ils devaient employer d’autres instrumens ? Peut-être, car, quelques jours après leurs zeppelins, ils ont envoyé une véritable escadre en Angleterre.