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gouvernement allemand continue, lui aussi, de faire de son mieux pour les déranger, il finira sûrement par l’emporter, et alors advienne que pourra !

Puisque nous sommes en Amérique, disons un mot d’un projet qui y a agité l’opinion, qui l’y agite encore et n’a pas laissé de produire aussi quelque impression en Europe. Au moment de la déclaration de guerre, un assez grand nombre de navires de commerce allemands n’ont pas trouvé d’autre moyen de n’être pas pris ou coulés que de chercher un refuge dans les ports américains. Ils y sont en sécurité, mais ne peuvent plus en sortir : les voilà immobilisés jusqu’à la fin des hostilités. La pensée est alors venue à quelques Américains de les acheter et aux Allemands de les leur vendre. Le gouvernement américain a vu lui-même le projet d’un bon œil, et M. Wilson l’a adopté, sans prévoir peut-être toutes les difficultés qu’il devait rencontrer.

La question s’est posée aussitôt de savoir si le projet était conforme au droit public et s’il ne soulèverait pas des objections, en Europe, du côté des Puissances belligérantes. Jusqu’ici, ces objections n’ont pas été exprimées, ce qui ne veut pas dire qu’elles n’existent pas dans les esprits ; mais on a préféré laisser les Américains résoudre à eux seuls la question. Elle est délicate. On a toujours considéré que des navires dans la situation où se trouvent ceux de l’Allemagne ne peuvent pas être vendus, soit parce que, le plus souvent, ces ventes sont fictives ; soit parce qu’on peut considérer les navires en cause comme un gage susceptible de servir à des transactions futures et que la vente fait disparaître. Quel qu’en soit le motif, ces ventes ont été généralement déclarées irrégulières, et telle a été notamment sur elles, dans le passé, l’opinion des jurisconsultes américains qui font le plus autorité. Laissons d’ailleurs de côté pour le moment la question de droit : en fait, on ne sait pas ce que peut devenir plus tard un navire appartenant à un belligérant, qui a été vendu à un neutre. Si c’est un navire de guerre, le cas du Gœben n’est pas encourageant ; si c’est un navire de commerce, l’inconvénient n’est pas aussi grave, mais une incertitude subsiste sur la sincérité du contrat, et elle suffit, à notre avis, pour le faire déconseiller. Une question d’espèce s’est présentée. Un navire allemand, le Dacia, a été vendu à un Américain d’origine allemande, récemment naturalisé. L’acheteur y a mis une cargaison de coton et a annoncé l’intention de la transporter en Europe. Si jamais vente a eu une apparence fictive, c’est bien celle-là : aussi l’Angleterre a-t-elle fait savoir qu’elle ne manquerait