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très discret ce jour-là, et M. Giolitti n’a rien retenu de cette conversation. Si elle avait été un peu plus poussée, il en aurait été quitte pour la rapporter à M. Salandra, ou à M. Sonnino, et personne ne lui aurait reproché d’avoir manqué à son devoir. Nous ne saurons donc rien des pensées profondes de M. de Bulow, mais M. Giolitti a écrit à M. Peano quelque chose des siennes et elles valent la peine d’être recueillies dans la pénombre où elles se cachent à moitié. Certes, dit M. Giolitti, et personne ne le contredira, « je tiens la guerre, non comme un bonheur, mais comme un malheur qu’on doit affronter seulement quand cela est nécessaire pour l’honneur ou les grands intérêts du pays. Je ne crois pas légitime d’engager le pays dans une guerre pour un sentimentalisme envers d’autres peuples. Par sentimentalisme, chacun peut exposer sa propre existence, mais non celle du pays. » Ces aphorismes sont marqués au coin du bon sens le plus frappant : on se demande seulement à quoi ils visent, car assurément personne n’a soupçonné M. de Bulow d’avoir voulu engager l’Italie dans une guerre de sentimentalisme et on ne voit pas non plus qu’une pareille suggestion eût pu lui venir d’ailleurs. « Mais, poursuit M. Giolitti, je n’hésiterais pas à affronter la guerre et je l’ai prouvé. » L’Italie lui doit en effet l’expédition de Libye. Toute cette partie de la lettre est évidemment une préparation, mais à quoi ? Enfin nous y arrivons. « Il pourrait être, lisons-nous, et il ne m’apparaît pas improbable que, dans les conditions actuelles de l’Europe, quelque chose d’appréciable (parecchio) pourrait être obtenu sans une guerre ; mais qui n’est pas au pouvoir ne possède pas les élémens d’un jugement complet. » Malgré cette restriction finale, la pensée de M. Giolitti ne semble pas douteuse ; il croit que l’Italie est à même d’obtenir sans guerre quelque chose de suffisant. Est-ce vrai ? Cela dépend de la modération plus ou moins grande que l’Italie mettra dans ces désirs et ici nous nous garderons bien d’insister sur un point qui ne nous regarde pas. Si nous avions cependant un conseil à donner à nos voisins, ce serait d’obtenir une promesse très précise et même de s’assurer par avance de son exécution au moyen d’un gage tangible. Nous nous rappelons la crise de 1866 ; l’Italie ne l’a certainement pas pu oublier non plus. Après la guerre de cette époque, lorsque l’empereur Napoléon III voulut obtenir quelque chose d’appréciable comme prix de sa neutralité, Bismarck refusa net et qualifia insolemment notre demande de politique de pourboire. L’Italie avait été plus prévoyante ; elle avait obtenu de la Prusse des engagemens fermes : peut-être se