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Et, quand ma mère les engageait à venir, eux aussi, à Spincourt :

— Merci bien, cousine ! Vous êtes bien honnête ! Mais c’est trop de dérangement.

Mon père insistait cordialement auprès du cousin Pochon :

— Mais non, mais non ! disait le bonhomme. Nous ne voulons pas vous donner de l’embarras !

Et, après ces froids adieux, nous nous empilions de nouveau dans notre voiture cellulaire.

Quatre heures du soir, en décembre, sur la Woëvre ! Le ciel était plus bas et plus fermé, la bise plus pénétrante. En face de nous, sur sa butte terreuse, le lamentable Domprix barrait l’horizon, avec ses masures aplaties et ses mares croupissantes, où le crépuscule d’hiver mettait des rougeurs lugubres d’incendie. Pour moi, c’était la désolation suprême. Ma pensée enfantine abdiquait, s’enfonçait désespérément dans un grand pays noir, plein de froidure et de ténèbre, où tout venait s’éteindre, où il n’y avait plus rien à attendre, — plus rien que la certitude de vivre ainsi toujours, sans chaleur et sans joie.


Pourtant, ce Spincourt, où je rentrais à regret, je lui ai dû les premières joies de ma vie, — toutes les joies que je pouvais avoir alors : des exaltations de tête ou de cœur.

Si, dans ces confuses années d’enfance, j’ai eu quelque pressentiment de la beauté, c’est la pauvre église de mon village qui me le donna. Vraiment, je sentais que là, sur cette petite terrasse hérissée d’orties, derrière ces murs tout nus, sévères jusqu’à la rudesse, s’abritait le refuge des âmes. C’était comme une barrière dressée contre les brutalités de la vie campagnarde. De quelle hauteur ma chère église de Spincourt s’élevait, pour moi, au-dessus des fumiers, des étables, et même des logis les plus cossus d’alentour !

Néanmoins, je ne me familiarisai avec elle qu’assez tard, et, en dehors des offices, nous n’osions guère y pénétrer. Une appréhension à demi consciente, que je ne sais comment formuler, une sorte de crainte de Dieu, au sens biblique du mot, nous en écartait. La piété solide et même austère de nos parens nous entretenait dans ce sentiment. Pour eux, la religion