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loi de séparation se faisaient partout sentir. Les planches vermoulues du plafond se détachaient par places, découvrant de grands trous noirs dans la charpente. Puissent les bombes allemandes n’avoir pas achevé l’œuvre abominable des sectaires de France !


Autour de l’église se pressait le cimetière, le petit troupeau des tombes serré autour de son berger.

Nous n’en approchâmes aussi qu’assez tard, contenus par la même crainte religieuse qui nous éloignait de l’église. Ce n’était pas précisément les morts, — auxquels nous ne pensions guère. — mais le mystère, la solitude et le silence du lieu, dont nous avions peur.

D’abord, les fleurs des tombes nous apprivoisèrent : il n’y en avait pas beaucoup dans nos jardins campagnards, où les légumes prenaient presque toute la place. On les réservait pour le cimetière. Cependant, je ne me rappelle pas que nous ayons jamais cueilli ces fleurs des morts. Louis Génin et moi, nous nous bornions à les admirer, à contempler leurs belles couleurs. De même, nous admirions, sans y toucher, les couronnes de fausses perles suspendues aux croix de bois ou aux stèles de pierre. Petits sauvages que nous étions, cette verroterie nous enthousiasmait. Une de ces couronnes funéraires est restée dans mon souvenir. Toute en perles bleues, elle se détachait sur le marbre blanc d’une stèle neuve, qui marquait la sépulture encore fraîche d’une cousine de mon petit ami. Je vois encore son nom sculpté en relief sur le marbre : Mélanie Érard, 18 ans. Cette jeune fille, qui appartenait à la famille la plus pieuse du village, était morte en odeur de sainteté. Une de ses parentes venait d’être miraculée à Lourdes. Cela formait autour de sa tombe un modeste rayonnement de piété et de poésie, qui nous touchait obscurément. La stèle immaculée, avec sa couronne de perles bleues, était d’ailleurs unique dans le cimetière. Plus tard, lorsque la Vierge de Lourdes fut intronisée dans notre église, nous n’en éprouvâmes point une très grande surprise : cette blanche figure virginale, à l’écharpe d’azur, nous l’avions vue flotter sur la tombe de Mélanie Erard.

Cependant, la poussée des ossemens, qui, tout autour de nous, perçaient la terre, ne laissait pas que de nous intriguer,