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avait tant de soucis, de douleurs et d’épreuves que les Américains se demandèrent si le dessein heureux qu’elle avait conçu dans la paix pouvait encore s’exécuter dans la guerre, si le péploiement à l’étranger des ressources fécondes de son génie pacifique pouvait encore se manifester, quand tout l’effort de la nation ne devait plus avoir qu’un seul but : rendre au pays ses frontières. Un instant les Américains craignirent que la France ne s’abstint de prendre part à l’exposition de San Francisco. Et déjà ils s’en désolaient. Ils avaient trop compté sur la venue de la France pour ne pas s’émouvoir à la seule pensée qu’elle pût leur manquer. Ils l’aimaient trop pour ne pas souhaiter qu’elle leur offrit l’occasion de lui témoigner, en marge de la politique, dans le domaine des arts, du commerce et de l’industrie, des sympathies qui, après avoir accueilli l’éclatante manifestation de son génie pacifique, s’étendraient, discrètement, jusqu’aux justes fiertés et aux légitimes espérances de son activité militaire. L’Amérique souhaitait que la France de la guerre tînt la parole donnée par la France de la paix. Et la France, émue d’une si délicate pensée, n’hésita pas à répondre à l’appel de l’Amérique, d’un même esprit et d’un même cœur.

Dans la guerre moderne, les nations qui, tour à tour, y pénètrent pour la provocation ou pour la défense, ne combattent pas seulement avec les forces de leur préparation militaire, mais avec la patience, l’endurance et la fermeté d’une race, l’appui financier d’un crédit économique et l’appui historique d’un crédit moral. Dans ces guerres où le neutre ne saurait demeurer longtemps spectateur impassible, les belligérans sont d’autant plus- forts que, fermes et résolus, en paix avec leur conscience devant eux-mêmes, ils sont en règle avec le jugement de l’histoire. Même quand elle est armée pour la défense de son intégrité territoriale et morale, la France ne saurait s’abstenir de continuer à paraître devant les nations du monde comme rayonnante de génie pacifique et d’idéal humain. Dans le combat pour la défense de sa substance vitale, elle ne pouvait, sans contradiction, s’interrompre d’élever, au loin, le flambeau qu’elle n’avait historiquement cessé de garder comme idéal dans le monde. S’abstenir de laisser, même pendant la plus terrible épreuve, rayonner jusqu’au de la de ses frontières les puissances généreuses de son esprit et de son cœur, c’eût été de sa part se défigurer, quand, au contraire, cette guerre, exaltant