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pieusement groupé d’illustres toiles : dans la série des réalistes en voie de transformation, Monet, dont l’impressionnisme, traitant les paysages par série de sujets, de motif identique, mais différens de lumière et d’atmosphère, offre, dans la série des cathédrales, la basilique de Rouen. L’observation réaliste des peintres militaires ramène ici, du Salon de 1881, le Cimetière de Saint-Privat et la Défense du Bourget d’Alfred de Neuville, tandis qu’Edouard Détaille, après avoir, comme son maître Meissonier, peint des soldats d’autrefois, et, comme son ami de Neuville, des sujets contemporains, unit les deux genres dans le Rêve. L’ayant vu, au Salon, en 1885, le revoir à San Francisco, en 1915 : quelle émotion ! Couchés dans la vaste plaine au pied des fusils en faisceaux, des fantassins suivent, dans leur sommeil, que visite l’Aurore, l’apothéose des armées d’autrefois : elles passent, étendards claquant, devant les jeunes troupes, dont le drapeau roulé s’apprête à se déployer en victoires. Mais l’idéalisme de Puvis de Chavannes dépasse, par la simplicité du moyen et la puissance de l’effet, la poésie militaire du Rêve.

Entre deux cimetières, près de décombres, vient s’asseoir l’Espérance, jeune enfant aux yeux bleus, innocente et frêle, appuyée sur la terre fraîchement remuée d’une tombe, un brin d’herbe à la main. Que de temps passé depuis qu’en 1872, Puvis de Chavannes espérait, qu’en 1885, Edouard Détaille rêvait. La gracile Espérance de Puvis de Chavannes peut voir fleurir enfin le timide brin d’herbe qui verdoyait entre ses doigts. Les fantassins, étendus près du drapeau roulé sur les fusils, ont maintenant réalisé leur rêve. Ils sont, suivant le juste mot d’un de leurs capitaines, historien des guerres de l’Empire, actuellement au front, redevenus, comme leurs ancêtres, « les soldats de la Grande Armée. »

Après les maîtres, leurs disciples et continuateurs. Ils ne sont pas au Palais de la France, mais au Palais des Beaux-Arts, où, sauf les architectes (pour l’Américain, l’architecture, ramenée à l’industrie, n’est-elle donc pas un art ? ), les artistes contemporains de toute nationalité se trouvent uniformément rassemblés. Ici ne flotte plus le drapeau tricolore. Ici, l’art de la France pourrait être plus détaché de toute préoccupation patriotique ou guerrière. Et cependant, la vraie pensée, la pensée fière, forte, grave, résolue, humaine de la France, se traduit ici sous les formes les plus diverses par maintes allusions à l’épreuve