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d’un côté comme de l’autre, le même effort : chacun s’efforcerait de saigner à blanc. »

Tandis qu’il laissait tomber du haut de la tribune ces paroles ardentes, où l’on sent passer tour à tour la ruse, le mensonge et même des hypothèses sinistres, qui deviendront plus tard des réalités, il fait ouvrir dans la presse germanique, sur toute l’étendue de l’empire, une campagne animée du même esprit que celle qu’il poursuit dans le parlement. Il fait répandre, contrairement à la vérité, que le ministre de la Guerre français a procédé à d’énormes achats de bois de construction et que ces bois doivent être employés à des baraquemens qui vont être élevés sur la frontière. A quoi ces baraquemens peuvent-ils servir, si ce n’est à abriter des troupes, et à quoi ces troupes sont-elles destinées, si ce n’est à marcher contre l’Allemagne ? Voilà le refrain que, sur des airs plus ou moins variés, il ne cessera de chanter.

A l’effet de corroborer les suppositions qui les inspirent et de leur donner plus d’autorité, il incrimine les mesures que prend le gouvernement français pour compléter sa puissance militaire. Il sait bien cependant qu’elles ne sont pas nouvelles et ne sont que la conséquence du plan général de réorganisation dont l’exécution a commencé en France après la signature du traité de Francfort. Mais peu lui importe. Bien que la vieillesse le l’Empereur, la santé déplorable du kronprinz Frédéric, la jeunesse du prince Guillaume condamnent l’Allemagne à l’impuissance de faire la guerre, il feint d’y être résolu et s’y prépare comme si elle devait avoir lieu. Il montre au Reichstag une France menaçante et une Europe alarmée par les prétendus préparatifs qu’on fait à Paris pour prendre l’offensive.

La presse germanique asservie a ses ordres répand que l’Autriche convoque d’urgence les Délégations, leur demande des crédits extraordinaires et vient d’acheter cent vingt mille chevaux. A l’en croire, l’Italie arme à tour de bras, et doucement, sans bruit et par lettres individuelles, assure sa mobilisation, tandis que la Belgique, la Suisse, les États Scandinaves, en proie à la panique, se mettent en garde contre des éventualités redoutables. Pour comble de perfidie, c’est à la France que le chancelier impute la responsabilité du trouble continental dont il est le seul auteur. D’accord avec le maréchal de Moltke, et sous prétexte de grandes manœuvres, il fait procéder à