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de faire adopter par des paysans même civilisés, a fortiori à demi sauvages, des idées nouvelles, sans fournir la preuve expérimentale de leur justesse et en recourant seulement à une contrainte qui est, le plus souvent, inefficace. De 1906 à 1909, les villageois de la région désignée, habitués jusque-là à recueillir la gomme qui découle d’arbres poussés naturellement, reçurent l’ordre de labourer des champs et d’y semer de la graine de gommier. Ceux d’entre eux qui obéirent, travaillèrent avec mauvaise volonté, sans être soumis à une surveillance sérieuse. Le gouvernement aurait dû faire lui-même, dans des champs d’expérience, le travail qu’il a voulu imposer.

Que les indigènes soient aptes à se laisser convaincre par l’éloquence des faits, c’est ce qu’ont démontré les résultats obtenus dans la ferme modèle de Tayiba sur le Nil Bleu à Ghezireh. La culture commença en 1911, rapporte le gouverneur de la province. La première année, les habitans montrèrent peu de confiance, se réservant de juger l’entreprise à ses fruits ; 1912 fut marquée par une sécheresse anormale. La récolte fut pourtant si remarquable, comme quantité et comme qualité, que ce fut à qui solliciterait les lots offerts en location. Pour chaque lot dix postulans se présentèrent. Comme chacun de ces petits fermiers emploie trois ou quatre ouvriers, on peut espérer que les nouvelles méthodes de culture (nouvelles par le procédé d’irrigation) se vulgariseront rapidement dans la région voisine.

Le rôle de providence doit donc être joué avec prudence et discernement. Nous croyons toutefois que la transformation agricole qui résultera des travaux d’irrigation sur le point d’être entrepris entraînera le gouvernement à régenter de plus en plus l’activité des indigènes, tout ou moins dans les régions qui vont bénéficier de ces travaux.

La valeur des terres actuellement arrosées par la pluie sera décuplée, voire centuplée le jour où, susceptibles d’être irriguées chaque fois que besoin en sera, donnant bon ou mal an des récoltes régulières et abondantes, elles pourront être cultivées en cotonniers et en cannes. Cet énorme accroissement de revenu sera comme un don de l’Etat qui sans doute ne manquera pas de subordonner sa libéralité à des conditions et de prescrire les méthodes de culture et d’assolement qui lui paraîtront les meilleures.