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Chaque jour, l’ennemi était repoussé. Chaque jour, il fallait reculer. » Ce témoignage est important. Il caractérise la volonté du général en chef, sa méthode, la rigueur avec laquelle fut exécutée de point en point la difficile manœuvre du renoncement provisoire et de la brusque représaille ; et il glorifie les armées qui, ayant subi le long supplice quotidien de se croire vaincues, perdues, abandonnées, réagirent tout de go pour la victoire, saintement patientes dans la défensive et si soudaines dans l’offensive que l’ennemi détala devant elles, déconcerté, comme frappé par la détente d’un ressort qu’il croyait mol sous sa pesée.

L’offensive ! Ordre du général en chef. La joie est partout.

« Un officier au colonel… » C’est au lieutenant Dupont de marcher… « Direction Courgivault. Reconnaissez si le village est occupé. La brigade vous suivra dans une heure, par le même chemin… » Le lieutenant a choisi quatre solides garçons, parmi ses chasseurs, et le brigadier Madelaine, qui est sûr. Un temps splendide. On respire bien. Les luzernes et les chaumes brillent encore de rosée. L’horizon, net. La route est silencieuse ; et rien n’y bouge. Il s’agit d’avancer avec prudence : on ne sait pas ce que cachent les buissons, les fossés, les taillis. C’est la première reconnaissance offensive de la campagne de France : sur les indications qu’elle fournira, les régimens vont s’élancer à leur perte ou à la victoire. La petite troupe chemine, craint de se risquer, à droite et à gauche examine les boqueteaux, passe et bientôt aperçoit, au milieu des prairies et des pommiers, le village, fermes et maisons paysannes tassées autour d’un clocher. Le lieutenant braque sa jumelle et, à l’horloge du clocher, lit : six heures quinze. Cette horloge, c’est tout ce qui paraît vivant, au village. Tout le reste dort, ou est mort. On ne distingue nuls travaux de défense, rien qui indique l’ennemi. Vercherin, l’un des chasseurs, est détaché pour aller voir d’un peu plus près. Et il suit une ligne de peupliers un arbre après l’autre lui servira d’abri ; et il se glissera d’un arbre à l’autre. Il s’arrête, se dresse sur ses étriers : il a cru que, dans une meule, quelque chose remuait, qu’une tête se levait hors de l’herbe… « Je regarde ; je ne vois rien que le village silencieux et paisible. Toujours la même impression de vide, odieuse et déprimante… » Les chevaux ont peur et font demi-tour : un coup d’éperon les ramène. Alors, à quelque cent mètres des chasseurs, sur la lisière du village, une ligne de tirailleurs, vêtus de gris, se développe, s’allonge derrière les meules, se défile adroitement, tire et, par bonheur, tire mal. Les chasseurs savent ce qu’ils avaient à savoir, l’occupation de