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flanc de la 4e division d’Ersatz et de la 37e brigade de landwehr qui, continuant à s’avancer vers la frontière hollandaise, risquaient de barrer la route à nos dernières unités. Celles-ci passèrent sans grandes pertes. Le 9, au soir, le gros de l’armée se trouvait derrière le canal de Terneuzen, le 10 à l’Ouest du canal de Schipdonck. Nous aurions pu nous y retrancher, mais l’aile gauche française, poursuivant son mouvement vers le Nord, n’avait pas encore dépassé Arras : il y aurait eu entre elle et nous un espace vide par lequel auraient pu faire irruption vers Calais l’armée de siège d’Anvers et quatre corps allemands de nouvelle formation, — les XXIIe, XXIIIe, XXVIe et XXVIIe, — qui venaient d’arriver en Belgique.

Aussi bien, allions-nous encore lutter ? Le repos ne nous était-il pas nécessaire ? Depuis le début d’août notre armée se battait sans répit. Certains régimens n’avaient plus eu, depuis cinq semaines, un jour ou une nuit de repos. La défense héroïque de Liège, sitôt suivie d’une longue retraite sur Anvers, de glorieuses et utiles sorties, toutes terminées par un dur mouvement de recul vers la protection des forts, l’énervement d’un long siège, ce départ dramatique par le dernier chemin qui fût libre, la fatigue, la faim, le déchirement d’abandonner à chacun de ses pas un peu du sol natal, tout cela avait fait, semblait-il, des fantômes de nos soldats. Le mot de repos que l’on prononçait désolait ces intrépides, mais consolait ces épuisés. Encore deux jours de marche, puis le repos ! Déjà, à Anvers et à Melle, l’Angleterre et la France nous avaient ôté, par d’héroïques combats à nos côtés, la sensation désespérante d’être seuls. Elles allaient maintenant nous remplacer quelques semaines sur les derniers carrés de notre terre, — si on ne portait pas plus au Sud la ligne de la résistance.

Routes de Flandre dans l’automne rouge. Anvers tombée, c’est une digue qui se rompt : une marée d’hommes déferle de l’Est et du Nord. Déjà, l’une de nos deux provinces restées libres est submergée. Devant la houle qui descend, refluent vers Ostende, Dunkerque et Ypres les derniers défenseurs de l’Escaut. D’un pas élastique et alerte, les fusiliers marins gagnent le pays maritime. Leur bonne humeur enchante, comme un espoir nouveau, les placides bourgs qu’ils traversent. Longues colonnes couleur de terre, les régimens anglais, qui semblent avoir peu souffert, scandent de leur marche régulière le silence des soirs