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au Nord-Est de la ville, voit des masses grises descendre de Beerst et de Vladsloo, par les routes où, hier, courait notre offensive. D’autres troupes débouchent d’Eessen, en face du 2e bataillon. Arrivées à portée de fusil, elles se jettent à terre dans la poussière et dans la boue. Elles n’avancent plus qu’en rampant. Ce sont alors les crispantes heures de l’attente, pendant que les canons travaillent. De la route de Caeskerke à Oudecapelle, nos batteries ne cessent d’arroser les voies d’accès de l’ennemi. Celui-ci répond en pulvérisant nos tranchées. Quand il juge les défenseurs démoralisés, il s’arrête brusquement, et brusquement c’est l’assaut qui monte.

Il est trois heures. Par milliers, des hommes sortent de terre. Tout de suite debout, pressés, coude à coude, ils accourent, le fusil au bras, la bouche ouverte, chantant éperdument un chant d’ivresse et de mort. Une rangée tombe, les autres enjambent les cadavres et les blessés, s’avancent, suivis d’autres et d’autres. Des hommes arrivent jusqu’au parapet, où s’engagent, à la baïonnette et au couteau, des corps à corps sanglans. Partout, les Belges tiennent bon. La ville est entourée d’une ceinture de cris, de râles et de feu. Debout au milieu de la grand’place, le colonel Jacques est devenu l’âme ardente du combat. Tout à coup, un obus éclate et le renverse. Blessé au pied, il se relève, demande une canne, continue à donner ses ordres. Prévenu du danger, l’amiral lui envoie une estafette : « Il faut tenir à outrance. — C’est évident ! » répond le colonel Jacques. Au même instant, un cycliste accourt, noir de poudre, et annonce qu’une tranchée, à l’Ouest de la route de Beerst, va être enfoncée : la fraction du 12e, qui la défend, a perdu tous ses officiers ; elle sent qu’elle ne peut plus tenir, elle demande du secours. Une compagnie de réserve attend sur la grand’place : le colonel Jacques l’envoie à la rescousse. Mais le bombardement est tel que, parmi les éclatemens d’obus et les maisons qui s’écroulent, elle ne peut sortir de la ville. Livrée à elle-même, la compagnie, qui agonise à la route de Beerst, finit par lâcher pied, se replie à deux cents mètres. Une bande prussienne se jette sur ses traces avec un cri de victoire. Les troupes voisines de la trouée, exposées à être prises à revers, se retirent en ordre parfait. La situation est angoissante. Elle l’est soudain plus encore, le lieutenant-colonel Collyns, qui tient l’Est de la ville, faisant dire que son bataillon écrasé va céder