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ils frôlent le poste de commandements heureusement éteint sa bougie : en face, un poste de secours français étant resté éclairé, le médecin et l’aumônier qui s’y trouvent debout devant la fenêtre sont renversés par dix coups de feu. Arrêté à Caeskerke par la barrière du passage à niveau, le bataillon sinistre s’engage au hasard dans les prairies. — « Où sont les batteries ? » demandent les Allemands à leurs prisonniers. Vingt fois, ils passent à quelques mètres des abris ; les prisonniers, — parmi lesquels se trouve le commandant Jeanniot, des fusiliers marins, — ne répondent pas. Ils paieront leur silence : on les massacre. A peine ce crime commis, le bataillon sera cerné par des soldats accourus en hâte de tous côtés, marins sortis de leurs tranchées, cyclistes, délégués, plantons, estafettes, cuisiniers, chauffeurs. Un court combat s’engagera, où presque tous les Allemands seront tués à la baïonnette ; le reste sera fait prisonnier. Plus de cent autres Prussiens seront retirés dans la journée du 26 des caves de Dixmude. Lorsque, à deux heures, les Sénégalais et un bataillon du 1er de ligne seront venus relever dans Dixmude les troupes du colonel Jacques, et qu’un obus tombant sur la maison où l’état-major s’installe aura enseveli sous les décombres une dizaine d’officiers, le génie en retirera avec ceux-ci, — dont l’un, le major Hougardy, aura les deux jambes coupées, — quelques hommes gris, dernier résidu de l’équipée de la veille, tapis encore, épouvantés, dans les ténèbres des souterrains.

Cet extraordinaire épisode du bataillon fantôme qui eût pu, en provoquant une panique, ouvrir la ville aux Allemands, avait laissé les défenseurs dans un calme parfait. Il marquait la fin de la journée la plus chaude de la bataille de Dixmude, celle qui, enfin, fut suivie pour nos hommes d’un peu de demi-repos. Le soir, les régimens de la brigade Meiser allaient cantonner, sous les obus, à Lampernisse. Quelques jours après, le Roi les passait en revue sur la grand’place de Furnes, leur décernait l’ordre de Léopold et baisait en pleurant la frange de leurs drapeaux.