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VIII

Sur le reste du front de bataille, les journées des 25, 26 et 27 octobre marquent un temps d’arrêt. Les Allemands, malgré leur immense supériorité numérique, n’ont pu enfoncer nulle part notre petite armée épuisée. Si celle-ci, sous la pression formidable de l’ennemi, a dû reculer, sa nouvelle ligne n’est éloignée des lignes primitives que de quelques centaines de mètres. Si nos pertes sont formidables, eu égard aux effectifs engagés, — rien que le 25, dix mille blessés sont évacués vers la France, — les meurtrissures des corps allemands sont si saignantes qu’hésitant tout à coup, ils s’avouent, par leur immobilité même, à moitié vaincus. A quoi leur sert d’avoir passé l’Yser, si le petit Beverdyck, parallèle au fleuve, les arrête comme l’Yser lui-même, et si, au-delà du Beverdyck, ils peuvent voir le remblai du chemin de fer s’offrir aux Belges comme un sûr refuge ? Etonnés par la violence de nos coups, ils ignorent notre épuisement ; surpris de notre activité, ils nous croient plus nombreux que nous ne le sommes ; voyant nos uniformes mêlés, ils pensent que l’armée française, progressivement, nous relève. Ils ont entendu derrière nous les grondemens puissans d’une artillerie lourde toute neuve : les 120 français qui viennent renforcer notre centre. Ils ignorent que nos 75, qui ne s’arrêtent point pourtant, n’ont plus, à la 6e division, que cent soixante et un obus par pièce, à la 2e que cent obus, et quatre-vingt-dix à la 4e. Ils ignorent l’angoisse de nos artilleurs qu’aucun convoi ne vient ravitailler. Ils se demandent d’où viennent nos réserves, et quand ils voient déboucher des villages des régimens, tambours battans, qui accourent au feu, ils s’inquiètent de nous voir toujours des troupes fraîches. S’ils savaient d’où viennent ces renforts, quelle sorte de repos ils ont goûté, quelles fatigues ils ont endurées, ils ne voudraient point y croire. S’ils savaient comment on les a ressuscités, ils ne douteraient plus de notre victoire.

Un officier, témoin d’un de ces miracles, me l’a raconté bien souvent. Un soir, à Lampernisse, une brigade de chasseurs revient du combat. Elle a lutté depuis des jours. Elle est en loques et en sang. A peine arrivés au village, les hommes