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prises. Kogge, le vieux garde-wateringue, a donné les plus précieux conseils : grâce à lui, tout s’est fait sans encombre, chacun a bien manœuvré. Le 28 octobre dans l’après-midi, en quelques tours de levier, les vannes sont ouvertes. La mer va devenir notre alliée.

Ce n’est pas en effet l’Yser qui déborde ; ce sont les bassins maritimes du vieux Nieuport qu’on va vider à marée haute sur la plaine et qu’insensiblement de petites vagues molles, avec une insinuante et terrible douceur vont amener dans l’espace que nous avons délimité. Précaution peut-être inutile, si notre victoire est prochaine ; protection nécessaire, aide désespérée, si la bataille doit durer plusieurs jours encore. L’armée est au bout de ses forces et de ses ressources. Seul l’enthousiasme des hommes les tient encore, mais il est si haut, si exaspéré, si peu alimenté de réalités exaltantes qu’il peut, tout d’un coup, casser. Les chefs le savent. Ils regardent avec angoisse l’eau qui approche, sûrement, — mais si lentement !

L’Allemand la voit aussi venir. Elle n’a encore franchi dans la première journée qu’une centaine de mètres que déjà il s’en affole. Vaincre ! Vaincre tout de suite ! avant que cette aide effroyable et silencieuse ne nous arrive. Il a d’autres raisons encore pour frapper le grand coup. L’offensive du général d’Urbal ne cesse de progresser au Sud-Est de Dixmude. Bientôt il menacera le flanc de l’agresseur, si celui-ci n’en finit pas vite. Et puis, l’Empereur est là !

Il est arrivé le 28, théâtral dans sa fausse simplicité, impératif, le front chargé comme s’il portait avec lui le secret de Dieu. Il a donné l’ordre d’ouvrir sous ses yeux la route de Calais, la route de Londres ! Il faut en finir avec l’armée belge, avec la Belgique. Il faut déborder, en un formidable élan, la mince barrière de nos poitrines. Il faut terminer immédiatement cette bataille de l’Yser, — cette bataille à cinq contre un, au cours de laquelle la plus forte armée du monde a pris douze jours pour avancer, en moyenne, d’un kilomètre. Le 29 à l’aurore, avec la diane des canons, les clairons, les trompettes et les fifres déchirent l’air à l’horizon.

C’est la même tactique que les jours précédens : attaques locales sur les points jugés faibles, puis attaque générale destinée à emporter tout. La 1re division reçoit le premier choc entre les gares de Boitshoucke et de Pervyse ; le 4e de ligne