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Emile Ollivier dut se claquemurer dans le silence : imaginez Lamartine à qui l’on a ôté sa lyre, ou Liszt à qui l’on a coupé les mains. Ne plus parler, ne plus agir, — et c’est tout un, — précisément à l’heure où il semblait que toute l’énergie française fût requise ! Et le plus grand orateur pouvait se croire le sauveur. Le 9 août, sur le soir, Emile Ollivier se rend aux Tuileries, où il prendra congé de la Régente. L’Impératrice le reçut un peu froidement, ne le consulta guère. Il se leva ; l’Impératrice ne parut pas désirer de le retenir. Et lui, en partant, se rappelait une autre soirée, dans ce même salon des Tuileries. Tout à coup, la fenêtre s’étant ouverte, poussée par le vent de l’hiver, l’Impératrice avait essayé de la fermer. « Mais la tempête était trop forte, et je dus venir à son aide… » Ce 9 août, « la tempête était encore là, mais l’Impératrice se croyait de force à l’affronter sans mon aide. » Ce qu’il dit de l’Impératrice, Emile Ollivier l’eût dit de la France. Ses détracteurs n’ont qu’à sourire ; et des critiques plus mesurés constatent qu’on s’est passé de lui. Mais lui n’a jamais pu s’accoutumer à l’idée que la France n’eût pas besoin de son aide : c’est qu’il avait, au bout du compte, la passion de la servir.

Tragique destinée ! L’impopularité d’Emile Ollivier se manifesta dès nos premiers revers et lui dura jusqu’à sa mort : n’est-elle pas attachée encore à sa poignante renommée ? Ce fut, cette impopularité, un phénomène de qualité, en quelque sorte, légendaire. Il devint, dans l’esprit de ses contemporains, un personnage d’épopée malheureuse ; et, comme le poème attribue au neveu de Charlemagne tous les plus hardis exploits du règne, on lui attribua toute la défaite. Non qu’il y eût à son égard une malveillance préméditée : le hasard s’en mêla et, parmi d’autres, le choisit en particulier. Peut-être, au début, divers amis de la veille, amis de son pouvoir et qui cessaient de le jalouser, le désignèrent-ils et adroitement lui accordèrent-ils une prépondérance qu’ils lui avaient disputée : ils le montrèrent du doigt et, alertes, se blottirent derrière lui, jusqu’à l’instant de triompher ailleurs et sans lui. Mais, plus tard, dégagée de ses primes contingences, les colères que le nom d’Emile Ollivier suscitait prirent un autre caractère et (disons-le sans nul embarras) magnifique : puisqu’il était, aventureusement, l’emblème de la défaite, on ne lui pardonnait pas : bref, on n’acceptait pas