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effectif et laissaient plus de douze mille hommes sur le terrain. Mais le reste avait rallié ses canons, ses étendards, et, massé en bon ordre, s’en allait en faisant bonne contenance. Car le roi-chevalier, ému de cette noble infortune, avait défendu de poursuivre et d’inquiéter aucunement les débris glorieux de ce grand passé militaire. La victoire n’abaissait pas chez les Français la grandeur d’âme, et leur politique estimait aussi qu’il peut être loyal et sage de faire naître, par la déférence du vainqueur, l’estime et l’amitié des vaincus !

Là fut la sagesse profonde de cette attitude chevaleresque par où François Ier voulut inaugurer son règne. Fut-ce calcul de grand politique ou simple réflexe de gentilhomme, il n’importe ; la France ne saurait oublier ce que lui valut l’heureuse générosité de ce roi. L’écrasement militaire des Suisses déblayait l’Italie du seul adversaire que pût redouter l’armée française, C’était pour la politique temporelle du Pape un coup fatal ; c’était pour la Suisse elle-même une menace. Loin de pousser à bout les conséquences de sa victoire, François Ier sut respecter chez ses ennemis vaincus tout ce qui n’était pas strictement opposé à ses premiers desseins. Le canon de Marignan avait brisé les dernières structures politiques du Moyen Age. Le roi de France se comporta déjà suivant des conceptions modernes. Avec le Pape, qu’il affecta de combler d’égards comme souverain pontife, tout en semblant négliger la neutralité contrainte de sa petite armée, ce fut dans le domaine spirituel qu’il traita : le concordat de 1516 fut la première et non la moins directe conséquence du succès de nos armes. Pour les Suisses, qu’il savait pauvres autant que braves, et dont il estimait à son juste prix l’amitié, il fut d’une largeur qui surprit, non seulement les hommes de cette époque, mais même bien des historiens postérieurs. Mais, en feignant de les indemniser pour leurs campagnes malheureuses contre la France, le roi les attachait à nos destinées par cette communauté d’intérêts qui seule assure aux peuples des amitiés durables. En payant ainsi d’un million d’écus et du Tessin la « paix perpétuelle » et l’alliance défensive avec les Suisses, consacrée définitivement le 29 novembre 1516, par le traité de Fribourg, François Ier a fait œuvre plus durable que s’il eût, par quelque mesure violente, prétendu faire payer aux Suisses leur défaite.

Une entente équitable avec la puissance pontificale, sur le