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En réunissant autour de quelques points de vue dominans les multiples remarques éparses dans les œuvres des témoins allemands de la guerre de 1870, on peut voir se dessiner avec quelque précision, d’une part l’image qu’ils nous présentent d’eux-mêmes, et d’autre part l’idée qu’ils se forment du pays où les a conduits la fortune des armes.


II

Ils nous fournissent d’abord de précieuses indications sur la valeur militaire de leur armée, la valeur morale de ceux qui la composent et enfin sur sa manière de faire la guerre.

Si l’Allemand ne montre pas toujours dans le malheur toute la dignité désirable, la modestie n’est pas sa vertu dominante lorsqu’il est triomphant. Il ne faut donc point trop s’étonner, ni d’entendre les chefs des troupes victorieuses rendre à leurs qualités un hommage enthousiaste et en partie mérité, ni de voir l’un d’eux s’exalter jusqu’à attribuer leurs succès à ce fait qu’elles représentent vis-à-vis de la France « une conception du monde plus élevée » (eine höhere Weltordnung)[1]. C’est là un langage que nous avons entendu tout récemment dans la bouche de professeurs célèbres. Mais certains aveux involontaires échappés aux auteurs de ces fières déclarations, semblent de nature à en atténuer l’effet. — Le premier est celui de la surprise que semble leur procurer à eux-mêmes la facilité de leur triomphe. On connaît l’exclamation qu’arrachait ce sentiment à Schneider, au lendemain même de l’armistice : « Qui oserait nier, s’écriait-il avec un soupir de soulagement, que nous ayons eu un insolent bonheur ? et que la masse des fautes commises par les Français l’emporte de beaucoup sur le nombre de nos succès mérités et de nos combinaisons heureuses ? » Les officiers subalternes ne pensent pas autrement que le lecteur du roi de Prusse. En annonçant à sa femme la capitulation de Metz, Kretschmann note qu’il faut attribuer un événement aussi surprenant « à la grâce de Dieu bien plus qu’à l’art de la guerre[2]. » En arrivant à Melun avec l’avant-garde bavaroise, Bauriedel ne revient pas de la stupéfaction que lui cause sa course rapide à travers la France : « Pour la première fois, dit-il, nous pûmes

  1. Kretschmann, p. 179.
  2. Kretschmann, p. 163.