Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien ajouter au formidable dossier qu’a permis déjà de constituer la guerre actuelle, elles servent du moins à montrer combien est artificielle la distinction que l’on a voulu établir entre la modération relative des Allemands de 1870 et l’inhumanité voulue des envahisseurs d’aujourd’hui. En réalité, les seconds n’ont fait que mettre plus de science au service de plus de barbarie et que perfectionner les procédés d’intimidation imaginés par leurs pères ; les uns et les autres se sont inspirés du même principe pour en tirer les mêmes conséquences. Ce principe, Kretschmann le formulait, bien avant von der Goltz et Bernhardi, en deux phrases d’une expressive concision : « La conduite de la guerre et la pitié représentent deux extrêmes inconciliables, » car « les Français ont avec les Juifs cette ressemblance qu’ils ne comprennent pas la douceur et la considèrent comme une faiblesse à exploiter[1]. » De cette conception découlent naturellement les plus terribles conséquences pour les habitans des régions occupées et des villes investies.

Vis-à-vis des premières, l’incendie, l’amende et le meurtre deviennent des pratiques courantes pour châtier ou même prévenir les moindres simulacres de résistance. On a dénoncé tout récemment, comme une innovation de barbarie raffinée, les « pastilles incendiaires » trop souvent utilisées par les soldats allemands. Cette invention n’est en réalité pas nouvelle, elle n’a été que perfectionnée. A Arpajon, où ils se trouvent cantonnés en octobre 1870, les officiers de chevau-légers bavarois se montrent tout fiers d’avoir imaginé et distribué à leurs hommes des « allumettes » spéciales, formées de tiges de bois enduites de soufre et entourées de paille imbibée de pétrole ; elles serviront à mettre le feu aux habitations au premier signal d’agression[2]. Sur quels légers indices ces alarmes s’élèvent, c’est ce que montre un intermède comique aux tristesses de la guerre. Un vieux lieutenant de landwehr, arrivant de Bavière d’où il n’était jamais sorti, demande un billet de logement. A peine a-t-il pris possession de son gîte qu’il revient tout effaré, en annonçant que son hôte a mis le feu à sa maison pour le brûler vif… Vérification faite, on s’aperçoit que cette panique provenait de l’aspect d’un feu clair flambant dans une

  1. Kretschmann, p. 158.
  2. Bauriedel, pp. 82 et 87.