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les villes occupées, notamment Rouen et Amiens, afin, d’exaspérer chez les habitans le désir de la paix et de les amener à l’imposer au Gouvernement de Bordeaux. Inutile d’ajouter que cette proposition soulève l’enthousiasme de M. de Bismarck, qui la commente en ces termes : « Si nous ne pouvons tout garnir de nos troupes, nous enverrons de temps en temps une colonne volante vers les localités qui se montreront récalcitrantes, nous fusillerons, pendrons et brûlerons. Si cela arrive quelquefois, les Français finiront par devenir raisonnables[1]. »

Les sévérités déployées à l’égard des régions envahies laissent deviner le traitement réservé aux villes investies. Les documens officiels ont assez clairement proclamé à cet égard la nécessité du bombardement comme moyen de hâter le « moment psychologique » où les souffrances des habitans seront plus fortes que la ténacité de la garnison. Ce qu’on pouvait espérer des auteurs de ces mesures inhumaines, c’est qu’ils ne se décideraient à y recourir qu’à contre-cœur, et comme à une dure extrémité militaire. Ce qui frappe au contraire dans leurs souvenirs, c’est la sorte de volupté intime qu’ils mettent à les appliquer. Tandis que Kretschmann regrette aimablement que l’on ne puisse tirer sur Paris 3 000 coups de canon par jour au lieu de 300, le roi Guillaume, tout imprégné pourtant des sentimens chrétiens dont ses lettres à sa femme contiennent l’encombrant témoignage, ne cache pas son impatience de voir commencer et activer le bombardement et ne cesse de presser à ce sujet l’impitoyable Moltke[2]. C’est en sa présence que le pasteur Rogge, aumônier de la première division de la Garde et représentant du Dieu de pitié, prononce une éloquente’ homélie sur l’inopportunité d’une compassion déplacée envers les femmes et les enfans de Paris écrasés par les obus. Ce personnage vraiment évangélique trouva d’ailleurs l’inspiration si heureuse qu’il n’eut garde de la laisser tomber comme échappée à la chaleur de l’improvisation, et qu’il la recueillit pieusement dans ses Mémoires imprimés[3].

Pour compléter ce tableau des Allemands peints par eux-mêmes, il resterait à chercher ce qu’ils pensaient les uns des

  1. Wilmowski, p. 79 ; Busch, p. 424.
  2. Wilmowski, pp. 77 et 81 ; Kretschmann, p. 265.
  3. Rogge, Aus sieben Jahrzehnten, t. II, p. 231. On trouvera la citation et la référence dans von Müller, p. 197.