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autres. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que les troupes d’invasion, au lieu d’être fondues par quarante-quatre années de vie commune en un tout homogène, formaient en 1870 des armées alliées, mais distinctes, séparées presque toutes par d’anciennes traditions particularistes, et dont les deux principales, celle de Bavière et celle de Prusse, étaient des adversaires de la veille. On trouve une première trace de ces rivalités persistantes dans l’empressement avec lequel les membres des divers contingens rejetaient sur leurs voisins les accusations qui pouvaient être adressée à la masse. Quant à leurs appréciations sur leurs frères d’armes, elles présentent ce mélange de servilisme et d’arrogance qui caractérise trop souvent les rapports de l’Allemand avec les nations étrangères. Les jeunes officiers bavarois ne cachent pas leur fierté de combattre en égaux à côté de leurs vainqueurs de 1866. Au moment de l’occupation, l’un d’eux, Tanera, invité, lors de son passage à Nancy, au cercle des officiers prussiens de la garnison, considère cet acte de camaraderie comme une insigne faveur, et le relate sur le ton de reconnaissance éperdue d’un domestique admis dans une maison étrangère à la table des maîtres. Les hommes, en revanche, restent rebelles à ce sentiment d’orgueil germanique, et les Prussiens ne font rien pour le leur inspirer. Le soldat Weidner, sortant de l’ambulance et placé à Versailles dans un convoi de convalescens originaires du Nord, se voit, en sa qualité de Bavarois, mis à l’écart ou servi le dernier dans les distributions, et il doit, malgré son esprit de discipline, adresser au chef de l’escorte d’énergiques remontrances pour ne pas être traité en Allemand de 3e classe[1]. — La rigueur de ces procédés ne fait que traduire d’ailleurs les préventions des esprits. Jamais Saint-Simon, dans ses momens de verve, n’a employé contre ses ennemis personnels des expressions d’un dédain aussi écrasant que Kretschmann pour parler des Bavarois. « Tu ne peux t’en faire une idée, écrit-il à sa femme après Beaugency. Par troupes de trois à six, ils couvrent les routes après avoir quitté leur corps, jeté leurs fusils et s’être affublés de tous les oripeaux possibles et imaginables… Le grand-duc (de Mecklembourg, commandant de l’armée de la Loire) a télégraphié : « Les Bavarois sont un ballast inutile. » Il a dit à von der Tann en plein

  1. Weidner, Kriegstagebuch eines Nürnbergers im K. b. 10e lnf. Regiment, pp. 129 et 132.