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éternelle de l’Alsace à son ancienne patrie[1]. Bauriedel, de passage à Strasbourg, va rendre visite à une de ses relations d’avant la guerre. Son interlocuteur le reçoit avec courtoisie, mais refuse catégoriquement de se montrer en public en sa compagnie. Il lui raconte avoir subi récemment quelques heures d’emprisonnement pour avoir jeté son cigare à l’approche d’un officier prussien qui lui demandait du feu[2]. C’est dans cette ville également que le docteur Cahn fait étape à son retour de Paris. Il y abrège son séjour et s’en éloigne au plus vite, indigné d’entendre les gens du peuple s’obstiner à répondre en mauvais français à ses questions en allemand[3]

Enfin Théodore Fontane, qui fait après l’armistice une enquête personnelle, conduite sans préventions, sur l’opinion publique des populations annexées, constate chez elles le même état d’esprit, dont il cherche à approfondir les causes. Autour de Metz, il écoute les habitans des villages de la banlieue protester avec force contre un changement de nationalité forcé, regarder vers Mars-la-Tour, restée française, comme vers la Terre Promise, et soupirer après le moment où ils pourront liquider leurs affaires pour venir s’y fixer. A Strasbourg, où la communauté de langue semblait à Fontane devoir rendre plus facile la résignation au fait accompli, il éprouve, le soir de son arrivée, une vive désillusion. Assis sur une terrasse de la place Kléber, il entend d’abord les clairons prussiens sonner le couvre-feu au milieu du silence général, puis il voit aussitôt après se former un cortège spontané de gamins et même d’adultes, qui parcourent les rues avoisinantes en sifflant les mélodies allègres de l’ancienne retraite française… Il songe avec mélancolie qu’il y a là un état d’âme plus fort que toutes les théories, que « les Strasbourgeois veulent rester Français, » et que la tâche la plus urgente du Gouvernement allemand doit être la conquête morale après la conquête matérielle du pays[4].

Comment cette œuvre de propagande pacifique est comprise par ceux qui en sont officiellement chargés, c’est ce que lui montre bientôt un épisode significatif. Il se rencontre en wagon

  1. Fausel, p. 147.
  2. Bauriedel, p. 159.
  3. . Cahn, II, p. 305.
  4. Fontane, II, pp. 194-198, 292 et 299.