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Nous ne croyons épargner, nous, qu’en retirant de la circulation intense et en mettant à l’abri, dans les eaux tranquilles d’un placement sans aléas, des sommes dont le capital nous devient presque tabou et dont nous ne nous permettons plus de toucher que les modestes intérêts. Et nous ne croyons avoir amorti, non seulement qu’après avoir éteint la dépense initiale, et les dépenses subsidiaires d’une entreprise, par le remboursement intégral de toutes les sommes engagées, mais encore qu’après l’avoir munie d’une ceinture d’appareils flotteurs et sauveteurs qui la garantissent de tout échouage et de tout naufrage dans le présent et dans le plus lointain avenir : fonds de roulement, de garantie, de réserve, etc.

L’Allemand impérial n’a jamais épargné qu’en rejetant une part, une très modeste part de ses bénéfices dans le tourbillon. Ebloui par les statistiques des caisses d’épargne allemandes, tel de nos consuls nous prédisait en 1911 l’éclosion prochaine d’une Allemagne assagie, prudente, capitaliste, presque rentière déjà. Mais les fonds de ces caisses continuaient en vérité de rester mobiles : ils rentraient sans arrêt dans le courant le plus accéléré, par l’intermédiaire des banques industrielles et des emprunts locaux, tant et si bien qu’au long d’une même année ils pouvaient entrer, sortir, rentrer et ressortir encore pour figurer dix et vingt fois de suite sur les registres.

L’Allemagne, de même, n’a jamais amorti son impérialisation qu’en l’étendant : elle a cru assurer la durée et la stabilité de son œuvre géante, en la rendant chaque jour plus kolossale, en l’entourant d’œuvres nouvelles, qui feraient, pensait-elle, office de contreforts et d’arcs-boutans. Les bénéfices annuels passaient tout entiers à couvrir les intérêts du passif et les dépenses du présent : il fallait l’emprunt quasi annuel pour assurer la préparation ininterrompue d’un avenir toujours reculé. Chaque année, l’Allemagne industrielle et commerciale se lançait en de nouvelles dépenses, espérant amortir d’un seul coup, les années suivantes, quand la conquête du monopole mondial, l’empire universel des affaires lui donnerait toute liberté et toute facilité de gain. Mais les années suivantes, le monopole n’était pas encore venu : il fallait donc s’acquérir de nouvelles armes contre les rivaux qui n’avaient pas encore la sagesse de se résigner à cet empire de droit divin, — et donc dépenser, dépenser toujours, et remettre d’années en années,