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des séjours ; à six lieues dans l’Ouest, la nouvelle capitale Mannheim avait au bord du Rhin un immense château, tout battant neuf, tout stuqué de rococo, tout tapissé de gobelins, et dont les milliers de fenêtres s’ouvraient sur les splendeurs du couchant, sur la brise et sur la gaité du fleuve.

Il fallut abandonner Schwetzingen, que la nature refusait à ces caprices de l’homme et rendre le pays à sa vocation irrésistible qui était de porter des-asperges, et non des minarets. Le château a subsisté pour sauver de l’oubli la mémoire de Charles-Théodore. Mais loin des splendeurs princières, dont la mode d’hier avait affublé cette bonne Allemagne, et loin de l’agitation industrielle et commerciale dont la mode d’aujourd’hui l’enfièvre, Schwetzingen vit tranquillement, bourgeoisement, et, plus encore que de son château, s’enorgueillit de ses asperges.

Quand les Allemands de 1900 résolurent de planter sur leur domaine impérial la plus grande usine et la plus grande firme des temps nouveaux, quand ils voulurent reproduire chez eux toutes les merveilles utilitaires qu’ils avaient admirées au cours de leurs voyages mondiaux, peut-être auraient-ils dû méditer cette leçon de Schwetzingen. L’homme propose et souvent même impose à la nature ses projets et ses ambitions ; mais quels que soient l’énergie de ses efforts, la discipline et la ténacité de ses méthodes et le bel agencement de ses calculs, à lui, c’est elle qui, toujours, dispose en fin de compte.

Depuis mille ans et plus qu’obstiné et toujours déçu en son rêve impérial, l’Allemand, pour acquérir la domination et l’exploitation universelles, s’efforce de dresser sur sa terre les systèmes politiques et sociaux qui ont fait la grandeur ou la prospérité des voisins, il semble que toujours le sol, les occupans, la solidité ou le succès se dérobent à chacune de ces entreprises successives, aussitôt qu’elle arrive à son achèvement. L’usine et la firme kolossales, qu’à peine nous avons vues terminées, ces gigantesques cheminées, poussées à miracle comme les minarets de Charles Théodore, ces ports, ces voies ferrées, ces gares, ces canaux, cette flotte, où tant de milliards furent engouffrés, n’avaient pas donné à l’Allemagne de 1914 ce qu’elle en avait espéré, ce que la réussite du voisin lui avait permis légitimement d’en attendre : tout au contraire.

Partie île la misère avec l’Empire, l’Allemagne du XIXe siècle avait cru, sous la bannière impériale, marcher vers la richesse,