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capitaine Greiben, celui-là même qui avait sommairement « expédié » l’infortuné Lupeta.

— Allons, qu’on remette les menottes à cette misérable canaille d’Anglais ! s’écrie le capitaine. Et toi, — s’adressant à Harrington, — tâche désormais à filer droit, car c’en est fini de tes jours de splendeur !

Au même instant, une rumeur triomphale se répand à travers tout le pont du Gronau : « Le Kronprinz a défait les Anglais et les Français dans une bataille de quatre jours, sur les bords de la Meuse ! Namur et Mons se sont rendues, l’ennemi est partout en pleine déroute. La France entière est à nous ! » Ivres d’orgueil et de joie, les soldats que le capitaine Greiben a chargés de garder le « misérable Anglais » se jettent férocement sur lui, et bientôt un groupe nombreux de leurs compatriotes leur viennent en aide pour assommer le prisonnier. Celui-ci subit enfin le châtiment, trop longtemps retardé, de sa « rébellion, » pendant que sa femme et ses six amis d’Upolu sont emmenés à terre. Et lorsque, trois jours après, Harrington retrouve assez de forces pour se lever du grabat où on l’a déposé, dans un recoin de l’entrepont du Gronau, déjà le paquebot s’est remis en marche, allégé de tout le personnel militaire qu’il a transporté à X.-Motu. Un « hasard » opportun, et sans doute prévu, a délivré le commandant von Oppel de l’obligation de continuer au médecin anglais les marques d’une reconnaissance dorénavant inutile.


Je ne puis songer, malheureusement, à suivre le jeune héros de M. Ambrose Pratt dans toute la série ultérieure de ses aventures. La place me manque pour résumer avec un peu de détail, en particulier, le récit que nous fait l’auteur anglais de la fin tragique du Gronau, coulé par une mine allemande qu’un coup de vent a décrochée de l’endroit où elle aurait dû attendre le passage de l’escadre australienne. Mais surtout je regrette de ne pouvoir pas mettre encore sous les yeux du lecteur quelques-unes de ces vivantes et savoureuses figures d’Allemands qui surgissent quasiment à toutes les pages du livre, toujours dessinées avec un mélange singulier d’indulgence ironique et de pénétration. Voici, par exemple, le cuisinier d’un autre navire de guerre, le Brandenburg, à bord duquel Harrington se trouve accueilli de la manière la plus affectueuse, après le naufrage du Gronau, — ayant imaginé de se faire passer pour un jeune patriote allemand d’Amérique ! Ce cuisinier Blümer est un « massif et pâteux Hanovrien, aussi bon enfant qu’il était gras, » et sans autre défaut qu’un manque total de scrupules moraux. « Sa théorie de la guerre