Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/482

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Amérique, mais les deux font la paire, et d’ailleurs l’Allemagne se trouve aussi impliquée par son attaché militaire dans le nouvel incident qui s’est produit. L’Autriche a un ambassadeur à Washington, et cet ambassadeur se livre à des manœuvres qui, pour n’être pas aussi sanguinaires que celles de l’Allemagne, ne sont pas moins misérables : elles le sont peut-être encore plus. Cet ambassadeur, le docteur Dumba, a confié à un journaliste de guerre, le capitaine Archibald, qui se rendait en Europe, une lettre à faire parvenir au ministre austro-hongrois des Affaires étrangères, le baron Burian. L’ambassadeur d’une puissance belligérante viole la neutralité du pays qui lui donne l’hospitalité en chargeant un citoyen de ce pays, muni d’un passeport régulier, de commissions politiques auprès de son ministre. Ce n’est toutefois pas en cela que consiste la plus grande gravité de son affaire, c’est dans le texte même de sa lettre qui a été saisie en Angleterre, au moment où M. Archibald y débarquait. Le docteur Dumba ne proposait rien moins au baron Burian, s’il consentait à lui fournir pour cela les fonds nécessaires, de fomenter des grèves dans de grandes usines américaines qu’il spécifiait, afin d’y arrêter pendant plusieurs mois ou du moins d’y ralentir le travail. Il se faisait fort d’y réussir. Dès lors, ces usines se trouveraient dans l’impossibilité de fournir aux Alliés, français, anglais, etc., le matériel de guerre qu’ils avaient commandé et qu’ils attendaient. Le devoir le plus strict d’un ambassadeur est de ne pas se mêler aux affaires intérieures du pays où il est accrédité : son caractère diplomatique, qui lui assure tant d’autres avantages, le lui interdit. Il doit, plus que personne, respecter les lois de ce pays au lieu de les violer. Que dire dès lors de cet étrange docteur Dumba qui n’hésite pas à demander de l’argent à son gouvernement pour fomenter, par la corruption, des troubles en Amérique et y porter personnellement atteinte à la liberté du travail ? Nous ne saurions dire si un cas aussi scandaleux est tout à fait unique, mais nous n’en connaissons pas d’analogue. On serait surpris si l’ambassade allemande n’avait pas été mêlée en quelque manière à cette intrigue : aussi l’a-t-elle été. A la correspondance du docteur Dumba dont M. Archibald s’était chargé, s’ajoutaient quelques lettres du capitaine de Papen, attaché militaire allemand. L’ensemble de la correspondance et le fait qu’elle était confié au même intermédiaire montraient que les deux hommes étaient d’accord et manœuvraient de conserve. Le docteur Dumba, dans un passage de sa lettre, le dit d’ailleurs formellement. Jamais abus de confiance n’a été plus effrontément commis sous le couvert de l’immunité diplomatique ; jamais