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l’abominable gouvernement des Junkers de se maintenir. Les social-démocrates allemands sont toujours demeurés fidèles à cette haine contre les Moscovites, méprisés à titre de race inférieure, et ils se sont étudiés à la répandre dans les partis socialistes des autres pays.

Lassalle jugeait qu’une guerre offensive dirigée contre la France, même sous le régime de Bonaparte, serait un malheur pour la civilisation. Marx, au contraire, lorsque éclata la guerre de 1870, écrivait le 20 juillet à Engels : « Les Français ont besoin d’être rossés. » Il s’applaudissait de cette guerre parce qu’elle achèverait l’unité de l’Allemagne, et la centralisation de l’Etat aurait pour conséquence celle du prolétariat. Par la doctrine et l’organisation, la classe ouvrière allemande se montrait bien supérieure aux Français, et sa prédominance dans l’Internationale prouverait la supériorité de la théorie marxiste sur la pensée confuse de Proudhon. »

Au Reichstag de l’Allemagne du Nord, les deux députés marxistes Bebel et Liebknecht s’abstenaient de voter les crédits de guerre. Ils n’allèrent pas jusqu’à les refuser, car c’eût été justifier « l’agression criminelle de Bonaparte, » tandis que les lassalliens, Schweitzer et Hasenelever, accusés par les marxistes de « paroxysme national, » avaient approuvé guerre et crédits. Mais la chute de l’Empire, après Sedan, mettait à peu près d’accord les deux clans socialistes. Bebel et Liebknecht saluaient avec joie la jeune République française et demandaient pour le peuple français une paix honorable, une paix sans annexion. Ils prédisaient, avec Marx et Engels, que l’incorporation à l’Allemagne de I’Alsace-Lorraine amènerait fatalement l’alliance de la France et de la Russie. Ils expièrent par deux années de forteresse leur protestation courageuse.

Grâce à cette attitude, l’union entre socialistes allemands et français n’était pas troublée par la guerre. La Commune achevait de la cimenter. Du fond de son exil de Londres, Marx saluait en elle l’ébauche d’une dictature terroriste de la classe prolétarienne.

Mais la première Internationale ne pouvait survivre à la guerre et à la réaction provoquée par la Commune. La rivalité de Marx et de Bakounine en présageait la fin. Dans ses Lettres à un Français, Bakounine stigmatisait le pire ennemi da la démocratie, l’Empire allemand : il opposait le socialisme