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annonçaient la guerre, c’est parce qu’il a su, — de même que le premier roi d’Italie, — comprendre les aspirations du pays et se faire l’interprète des sentimens qui, selon l’expression de Massimo d’Azeglio, se trouvaient dans le cœur et l’esprit de chacun.

Ainsi le drame de conscience nationale qui s’est joué à Rome nous montre déjà ses deux protagonistes : le Roi d’une part, le peuple de l’autre. Mais il a eu divers acteurs encore. Ces acteurs, nous allons les voir apparaître à mesure que se déroulera la tragédie qui s’est dénouée le 24 mai par la rupture solennelle avec l’Autriche.

Le ministre des Affaires étrangères que M. Salandra, en succédant à M. Giolitti, avait tenu à laisser en place, était mort, après une courte maladie, le 16 octobre 1914. C’était une personnalité très complexe, un peu mystérieuse, que celle du marquis de San Giuliano. Aujourd’hui, les Allemands aimeraient le faire passer pour un « tripliciste » convaincu et absolu. Ils déplorent à grand bruit sa disparition, et le comte Reventlow est allé jusqu’à écrire, en ces temps derniers, que les interventionnistes italiens n’avaient pas reculé devant les poisons des Borgia pour supprimer le ministre qui faisait obstacle à la guerre contre l’Autriche. C’est le type des fables énormes que les Allemands, dans leur déception et leur délire, ne cessent d’inventer depuis un an, tant à l’usage de leur public qu’à l’usage des neutres. En réalité, le marquis de San Giuliano (qui a succombé, est-il besoin de le dire ? à une crise d’urémie nettement caractérisée) n’avait pas joui toujours de cette faveur ni de cette confiance de la part de l’Allemagne. Il y a dix ans, la presse germanique l’attaquait avec violence pour avoir délégué à la conférence d’Algésiras le marquis Visconti-Venosta, ce grand seigneur toujours animé de sympathies pour la France, et qui vient de mourir au moment où s’accomplissait son idée. Le marquis Visconti-Venosta devait, en effet, largement contribuer à retourner contre l’Allemagne la conférence si brutalement exigée par le gouvernement impérial. Il devait ébaucher là-bas une ligue de résistance européenne contre les prétentions allemandes à l’hégémonie, — cette coalition diplomatique que le prince de Bülow feignait d’appeler avec dédain la « constellation très surfaite d’Algésiras, » et qui n’en est pas moins devenue la Quadruple-Entente d’aujourd’hui… Plus