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l’emporter aisément, avec son autorité, son prestige, sa dextérité de grand parlementaire. Quant à l’opinion publique, il ne la faisait pas entrer dans ses calculs. C’est pourquoi on le vit écarter comme d’importuns et négligeables murmures les cris : A bas le parecchio ! poussés à Turin sur son passage par quelques étudians. A Rome, pourtant, il devait retrouver, a sa vive surprise, ces manifestations singulièrement grandies et chaque jour grossissantes. Le public avait eu l’intuition très nette que posée, telle quelle, devant la Chambre, la question serait certainement résolue dans un sens contraire à ses vœux, que l’ancien président du Conseil, au premier signe, retrouverait sa vieille et fidèle majorité. Ce serait une sorte de retour de l’île d’Elbe parlementaire. L’arrivée de M. Giolitti à Rome provoquait donc aussitôt une émotion, une agitation considérables. Et l’on allait assister à ce spectacle étrange : l’homme naguère le plus influent, le moins discuté de toute l’Italie, le dictateur aux mains robustes qui avaient pétri si longtemps la vie publique italienne, mis en échec, pour la première fois, par un mouvement populaire, dont la direction serait prise par un poète, — chose peut-être, celle-là, plus imprévue, plus extraordinaire encore, la dernière, à coup sûr, à laquelle s’attendit M. Giolitti, accoutumé à ne compter qu’avec la psychologie des assemblées et les usages du régime représentatif.

Le 12 mai, M. Gabriele d’Annunzio arrivait à Rome par un train du soir. La ville était déjà surexcitée par les rumeurs dcs derniers jours, par les bruits qui couraient de toutes parts au sujet des « intrigues neutralistes » et de la « conjuration parlementaire. » Les Romains avaient pris hautement parti pour la guerre et pour M. Salandra. La présence de M. Giolitti à Rome les alarmait et les irritait. En vain M. Giolitti, dans une lettre publique à la Tribuna, affirmait-il qu’il n’était jamais entré dans ses intentions de renverser le ministère et qu’il s’était borné à répondre à une convocation du Roi et du président du Conseil lui-même, avec lesquels il devait avoir des entretiens sur la situation générale : il n’y a pas lieu, sur ce point, de mettre en doute la loyauté de M. Giolitti. Malheureusement pour lui, il avait des amis, une clientèle, et même il trouvait des partisans de circonstance, beaucoup moins modérés, beaucoup moins circonspects, et qui le compromettaient comme à plaisir. En l’espace de quelques jours, M. Giolitti se