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En 1848, aux origines du Risorgimento et dans le journal célèbre qui en avait pris le nom, Cavour, alors tout bouillant de jeunesse, avait écrit ces lignes restées fameuses : « Quand sonne l’heure de la libération, laisser s’arrêter cette heure serait une lâcheté ! Ce ne serait pas une belle et grande politique, mais une politique mesquine qui, sans nous mettre à l’abri des périls qui subsisteraient, couvrirait la nation d’ignominie et ferait peut-être écrouler le trône antique de la monarchie savoyarde au milieu de l’indignation des peuples frémissans. » Ces lignes, vieilles de près des trois quarts d’un siècle, ont été réimprimées pendant les journées de crise de mai 1915 : à travers les années, la parole de Cavour n’avait rien perdu de sa vigueur. La maison de Savoie se trouvait ramenée à l’une de ces grandes dates historiques qui se représentent pour elle de génération en génération, et c’était pour Victor-Emmanuel III comme pour toute l’Italie qu’une heure solennelle avait de nouveau sonné.

Ainsi que son aïeul Charles-Albert, à qui s’adressait l’adjuration de Cavour, Victor-Emmanuel III aurait pu prendre pour devise : « J’attends mon astre. » Depuis quinze ans que la mort d’Humbert Ier l’avait appelé au trône, quelle occasion avait eue le successeur du Roi « galant homme » et du re buono de manifester ses idées et son caractère ? Aucune. L’occasion, soudain, se présentait avec éclat. Le Roi, à ce croisement des destinées de son pays, devait agir à la fois comme souverain constitutionnel et comme souverain traditionnel. Il avait à résoudre une crise de Cabinet impliquée dans une crise nationale. D’une part, il devait décider comme représentant du pouvoir exécutif dans un régime parlementaire. De l’autre, le vœu public, la poussée populaire l’investissaient d’un mandat infiniment plus vaste que celui de consulter des hommes politiques et de distinguer les volontés de la Chambre pour la constitution d’un ministère. C’est de l’initiative et de la responsabilité suprêmes dans la question paix ou guerre que le sentiment général chargeait Victor-Emmanuel III. Car la formule « le Roi règne et ne gouverne pas » n’a jamais été très bien comprise des peuples. Du moins, en temps de crise, ont-ils toujours tendance à se tourner vers le chef de l’Etat, à attendre, sinon à réclamer de lui, des décisions et des actes. On raconte que, pendant une des journées les plus chaudes des