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Quelques-uns de nous feront le trajet en automobile. Je pars un des premiers pour préparer le cantonnement.

Compiègne, Villers-Cotterets, Châlons, Sainte-Menehould. On m’y indique notre cantonnement provisoire : un peu au Nord de Revigny.

C’est l’armée du Kronprinz qui a « opéré » dans cette région.

En ce qui concerne l’incendie des villages, le cambriolage et le pillage des maisons, il convient d’accorder une mention toute spéciale à cette armée. Dans la très jolie demeure qu’on m’indique, la plus belle du village, rien, à l’exception des meubles les plus lourds, n’a été laissé. Les Allemands, talonnés par nos soldats, n’eurent pourtant pas le temps d’incendier les maisons elles-mêmes ainsi qu’ils le firent à Sommeilles, à Sermaize, à Clermont, dans presque tous les villages de la contrée. Ce n’est point que l’envie leur en manquât. Au moment de la retraite, ils appréhendent le maire, et le font garder baïonnette au canon dans la mairie : « Demain matin, quand nos soldats seront tous partis, lui disent-ils, vous serez fusillé et le village brûlé. »

Pendant la nuit heureusement, les Français arrivent, ce qui sauve la commune et son premier magistrat.

Notre corps d’armée a la mission de défendre, depuis l’Aisne un peu en amont de Servon, une ligne qui coupe en deux le bois de la Grurie et s’étend jusqu’au de la du Four-de-Paris. Nous allons être en pleine forêt d’Argonne.

Je pars en avant pour reconnaître les gîtes. Il a neigé la nuit précédente, la campagne est toute blanche et les chemins bien mauvais.


Sainte-Menehould. — Dans la ville grouillante de soldats, un court arrêt à l’hôtel de Metz : vieille auberge autrefois très réputée, sur la grande route de Paris à Metz ; vieille cuisine dont les amples dimensions et les cuivres innombrables évoquent postillons, maîtres de poste et les voyages du temps jadis.

Nous descendons la vallée de l’Aisne jusqu’à La-Neuville-au-Pont. Le village est bien médiocre, mais le portail de l’église est si joli : c’est une délicate façade Renaissance, un de ces merveilleux bijoux qu’on est très étonné et si heureux de découvrir dans des coins perdus et reculés de la province française.

Le front que nous occupons part de l’Aisne, au gué de