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un moignon de 10 centimètres à l’épaule gauche et un moignon de 15 centimètres au coude droit, parvient, au moyen de sa main droite munie d’un pouce articulé, à se passer de toute aide pour manger, pour s’habiller, et dans tous les soins de la vie journalière. Il écrit même fort bien et l’on prétend qu’il est le meilleur dessinateur de la maison. Quant au mutilé des membres inférieurs, une seconde de réflexion suffit à montrer qu’il dispose encore d’une grande faculté d’agir. Pourquoi un amputé d’une jambe, ou même des deux jambes, ne serait-il pas tailleur, cordonnier, vannier, menuisier, ébéniste, relieur, bourrelier, ferblantier, mécanicien, dessinateur, fourreur, bijoutier, que sais-je encore[1] ? Plusieurs de ces métiers sont effectivement enseignés, avec succès, à l’école de Lyon[2]. Une section d’horticulture y a été ouverte voici trois mois, — à la vérité peu recherchée puisqu’elle ne compte encore que 8 élèves, — et M. le docteur Mosny observe que la viticulture, l’arboriculture, l’aviculture, l’apiculture, qui ne réclament qu’une mobilité restreinte, pourront, selon les régions, constituer de précieux débouchés. Pour les plus instruits, des cours de comptabilité ont été organisés où l’on enseigne la dactylographie et la sténographie. Ils étaient suivis au 15 septembre dernier par 65 élèves sur 192 que comptait alors l’Ecole. Ces apprentis seront secrétaires d’hôtel, caissiers, employés de bureau, fonctionnaires, représentans de commerce. Et ici les manchots ne souffrent pour ainsi dire d’aucune infériorité. Ceux mêmes qui n’ont conservé que le bras gauche apprennent très vite à en tirer les mêmes services que d’un bras droit.

L’Ecole, qui pressent les préjugés possibles du public, se propose de faire de ses apprentis des ouvriers de choix. A

  1. Chez les Frères de Saint-Jean-de-Dieu, un tailleur, amputé des deux membres inférieurs, actionne parfaitement sa machine à coudre au moyen de ses jambes articulées.
  2. La cordonnerie est particulièrement recherchée, parce que c’est une profession absolument sédentaire, et qui, à la différence de la taillerie, trouve sa place même au village. Elle permet à nos blessés cultivateurs, qui sont en grand nombre, le retour dans leur pays. Pour 50 apprentis cordonniers, il y avait le 15 septembre dernier à Lyon 18 tailleurs, 12 papetiers-brocheurs, 18 menuisiers, 21 fabricans de jouets. On peut voir sur l’école de Lyon l’intéressante brochure du docteur Carle, les Écoles professionnelles de blessés (préface de M. Ed. Herriot). Le directeur de l’École, M. Basèque, autrefois attaché à l’École de Charleroi, m’a très obligeamment renseigné sur la situation présente de l’établissement, qui est maintenant réparti en deux groupes scolaires : 1er 41, rue Rochais ; 2° 26 chemin de Tourvielle, Point-du-Jour.