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brutale et fourbe, fierté de la France debout. Ces deux sentimens s’exaltent, quand l’Allemagne, violant la neutralité belge, se montre plus scandaleuse qu’on n’avait cru et quand la France dépasse sa glorieuse renommée par son entrain, sa fougue belliqueuse, par la prompte réussite de sa mobilisation, par son élan discipliné, par l’unanimité de son espoir. Ah ! ce n’est pas comme en 70 : cette petite phrase revient sans cesse, acharnée, heureuse, à l’esprit de qui se souvient. Le 15 juillet 1870, le jeune lieutenant de Mun, dans la petite cour du quai d’Orsay, attendait la décision parlementaire. Le capitaine de garde sortit et, agitant son képi cria : « La guerre est déclarée ! » Une clameur d’enthousiasme : les officiers saluent la guerre. Puis défilent les députés, le front bas, soucieux, doutant que la nation les approuve. Non, le 4 août 1914, ce n’est pas cela ; ce n’est pas ce prélude hésitant, gauche et comme gêné : c’est toute la nation, sûre de soi ! Jour après jour, l’ancien combattant de l’autre guerre consulte ainsi sa mémoire, se débat contre les analogies amèrement, les écarte, les chasse et triomphe aux belles différences, à la nouveauté de l’aventure, au contraste radieux. « En 1870, à pareil moment… » Les corps d’armée, de Thionville à Strasbourg, s’éparpillaient ; l’ennemi se concentrait… « Et, d’abord, ne parlons plus de 1870 ! Rien, dans ce que nous voyons, n’y ressemble… » N’en plus parler ? Cette hantise ne le quitte pas… « J’étais à Metz ; nous allions partir pour la frontière… » Et, partout, le désordre. Aujourd’hui, toute la machine est bien réglée. En 1870, la mobilisation se fit, tant bien que mal, assez vite. Il fallait prendre l’offensive : et l’on perdit son temps. Cette fois, l’offensive, sans retard. « Mulhouse est pris ! Comprenez-vous, à ces trois mots, quel coup au cœur, pour nous, les vieux, les vaincus de 1870 ?… » Et il célèbre cette aurore de la revanche. Pourtant, il frissonne ; et il craint de céder à des illusions, aux mêmes illusions « qui nous perdirent en l’année terrible. » Du calme : « Il faut apaiser mon vieux cœur, trop prompt à bondir. Il est vrai, soyons sages et gardons la mesure… » Pendant la semaine des victoires imprudentes, Altkirch, Mulhouse et Colmar entrevu, il se réprimande ; il se refuse, comme il peut, les délires de l’allégresse et il prêche le discernement : « Si je donne des conseils, je m’exhorte moi-même… » Il ne traite pas autrement son lecteur et lui-même : son lecteur et lui, c’est tout un ; c’est la France en alarme. Alors, il ose admonester son lecteur, comme lui-même il se raisonne et, aux momens où les déceptions se préparent dans la crédulité universelle, dire : « Ce sera dur ! ne nous flattons pas… » et,