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Orléans, à Bordeaux, on s’écrase pis qu’un jour de mardi gras. Nous avons bien de la chance de rester dans notre ville… » La vaillance tourne à la bonne humeur. Il y a presque de la gaîté, pour annoncer, un jour, que deux hirondelles, sans faire le printemps, sont tout de même venues prendre l’air de Paris. Ces deux hirondelles : M. Briand, M. Sembat. « Ça nous change des Taubes. J’espère qu’ils s’en vont satisfaits de la grande ville et qu’ils le diront là-bas. Nos Bordelais peuvent revenir. Le communiqué du jour est parfait. Paris les attend avec le sourire… » Et, le lendemain : « La victoire ! Joffre a lâché le mot. Le mot que nous attendions depuis quarante-quatre ans. » Nous avons lu, à leur date, ces lignes dans le journal ; nous les retrouvons dans le livre, nous les reconnaissons : notre mémoire les a gardées, les a liées au souvenir des épisodes et du sentiment dont elles sont la formule indélébile. Et si l’on cherche ce qui leur confère cette qualité emblématique, c’est leur exactitude assurément, c’est aussi leur rythme ; c’est à la fois leur justesse et leur poésie, enfin ce lyrisme de la réalité qui est la marque de cet écrivain. Nul écrivain n’est plus véritablement un poète et, cependant, un réaliste. Il ne quête pas la beauté dans le vague et n’a point exilé l’idéal hors du monde. Il prend la beauté dans le monde ; ou il la lui imposerait. Et, si jamais la réalité fut belle, fut toute chargée d’idéal et fut de la poésie toute prête, à portée de la main, c’est durant ces mois d’histoire où les splendides vertus travaillaient contre terre, où l’héroïsme sanctifiait le sol et où les plus divines pensées, entre elles l’espérance, fleurissaient sur la boue et sur le sang du combat.

La littérature était assez tranquille ici-bas et en notre pays, lorsque la guerre a éclaté. Subitement, ce qui nous enchantait n’existe plus ; il nous devient difficile d’imaginer un instant de l’avenir où nous plairait encore le jeu subtil et anodin des phrases et des mots, le jeu d’autrefois. « Ecrivains, déchirez la page interrompue ; poètes, abandonnez votre chanson, fût-ce au milieu d’une strophe, et si fort qu’elle ressemble à votre âme. Jetez même un adieu rapide à votre cœur d’hier. En revenant du Rhin, vous serez montés si haut, avec des ailes si fortes, que vous surpasserez tous vos rêves, comme l’aigle survole le rossignol. » Je ne sais quelle nouvelle littérature inventera pour de tels lendemains, cette jeunesse victorieuse : comptons sur elle et sur son vivant génie. Je ne sais pas non plus combien des écrivains d’hier, et de ceux qui nous ont le mieux divertis, auront sans désastre passé la tempête qui bouscule tout et arriveront aux plages nouvelles, capables de chanter la nouvelle chanson. Plusieurs seront