Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

importante sur tout le champ de bataille qui s’étend de la Baltique à la Méditerranée et de la Pologne à la Picardie. « Ce rythme de la guerre, c’est l’une des grandes raisons de notre certitude mathématique et absolue de la victoire, » dit Polybe. Et ce rythme de la guerre, il nous le fait sentir avec une habileté impérieuse. Que de fois n’a-t-il pas, de cette façon, délivré son lecteur d’une obsession mesquine et d’un tourment de prisonnier !

Il lui arrive de se tromper ; et les notes, au bas des pages, dans le volume, corrigent les fautes principales. Ces notes sont bien émouvantes : elles signalent plusieurs de nos illusions passées, plusieurs de nos déceptions. Illusions et déceptions que Polybe, non plus que nous, n’a point esquivées toutes, à l’époque où, selon le mot de M. Lavisse « de trop grandes espérances ont été données prématurément » et où chacun de nous se forgeait des espérances peu raisonnables. Polybe était, avec toute sa lucidité, l’un des Français que l’anxiété ne laissait pas calmes. Je crois qu’il s’est trompé moins que personne ; et que de choses il a bien appréciées, que de choses il a bien devinées ! Les erreurs que l’on n’évite pas, si elles vous détournent de la vérité un peu de temps, peuvent être aussi des chemins plus longs et difficiles vers la vérité ; l’erreur n’est pas nécessairement le contraire de la vérité. Par les sentiers de ses illusions et à travers quelques déceptions, la France allait à la victoire : Polybe avait raison de lui montrer la victoire, de loin et au-delà des chemins de traverse.

Le 30 août 1914 — et l’on se souvient de ces jours ! — Polybe écrivait : « Quiconque, imposant silence aux angoisses de son cœur, sait regarder devant soi d’un œil clair, sent croître en lui la certitude toujours plus forte de la victoire finale… L’ennemi est perdu ! » Le 30 août !… Ce 30 août, l’ennemi n’était pas loin de Paris. Le lendemain, M. de Mun s’écriait : « Eh bien ! oui, j’ai toujours confiance, pleine et robuste confiance ! » Et M. Barrès : « Quand aujourd’hui nous manquerait, demain, le plus proche demain nous va apporter la victoire ! » Ainsi l’éloquence, la poésie et la stratégie étaient d’accord pour affirmer une même foi, paradoxale et merveilleusement véridique, la même foi qui n’admet aucun doute et qui refuse comme une impiété l’incertitude à l’égard des destinées françaises.


ANDRE BEAUNIER.