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à la langue, — celle au moins que parle Jeanne, — on regrette de n’y point trouver la franchise et la vigueur, le robuste bon sens et par-dessus tout la simplicité, qui fait si profondément humaine et si française, en même temps que surnaturelle et mystique, l’âme de notre Pucelle. Oyez plutôt cette plainte, ou cette complainte, de la prisonnière : « Dans le jardin de Gethsémani, Jésus lui aussi pleurait, et, plein d’angoisse, il cachait un frisson dans son cœur. Mais ses larmes silencieuses, les plantes les buvaient, et les astres y reflétaient la compassion des cieux. Mais moi qui, toujours vigilante, ai vécu dans ma foi ; moi, pauvre aile de colombe, égarée sur des abîmes obscurs, je n’ai pas de fleurs pour pleurer l’heure de mon agonie, je n’ai pas d’astres qui resplendissent au-dessus de mon angoisse. » Est-ce ainsi que Jeanne se plaignait, et pleurait ! Et non seulement la vérité de l’histoire, mais celle même (car elle existe) de la poésie et de l’imagination, peut-elle souffrir, sur les lèvres d’une Jeanne d’Arc, cette abondance de paroles recherchées et fleuries !

La recherche nous paraît être aussi le défaut général et le plus sensible, — à la lecture du moins, — de la partition. Très travaillée, très raffinée, la musique de M. Bossi ne redoute et d’ailleurs n’évite rien autant que de sembler vulgaire ou même banale. Elle courait pourtant certain risque de l’être, les sujets religieux et militaires prêtant deux fois à de trop faciles effets : cortèges et processions, hymnes d’église, refrains et sonneries de guerre. Le musicien d’Italie n’a pas donné sur cet écueil. Sa musique n’est jamais triviale, ou voyante, ou, si vous préférez, criarde. Au contraire, les délicats en aimeront la discrétion, la réserve et le recueillement. C’est au dedans, et non point au dehors, qu’ils en iront chercher, et trouver, le caractère et le charme. Musique intérieure, intime, cette musique est même trop souvent ténue et subtile. Loin de s’imposer tout de suite, elle se cache et se dérobe d’abord. Elle a des aspects, des expressions furtives, passagères, et qu’il faut surprendre. Cela n’est pas très italien, du moins italien d’aujourd’hui. Et cela n’étant ni long, ni lourd, on y reconnaît encore moins la marque de fabrique allemande, la dernière. Il se peut que l’influence debussyste ne soit pas étrangère à l’inspiration de certaines pages, trop ingénieuses, trop frôles et presque maladives. D’autres, solides et saines (surtout l’épisode du couronnement), feraient plutôt songer — et ce souvenir nous plaît davantage — à tel ou tel chœur religieux du Boris Godounow de Moussorgsky. L’ensemble, encore une fois, nous paraît pécher par un excès de raffinement, pour ne pas dire de maniérisme et de préciosité. Non, « ce n’est