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pas ainsi que parle la nature, » ni même ainsi qu’elle chante et qu’elle s’exprime par la musique, par les divers élémens de la musique : mélodie, harmonie ou déclamation lyrique. C’est dans l’harmonie surtout, dans la formation des accords et dans leur succession, que se manifeste un parti pris constant de recherche, une crainte et comme une horreur continuelle de la simplicité. Le chromatisme y sévit sans cesse. L’altération tonale ou modale y est de règle et donne au style général de l’œuvre un caractère, fastidieux à la longue pour l’oreille et pour l’esprit même, d’incertitude et de flottement. La pastorale du début, la chanson de Jeanne, de couleur ancienne, peut bien nous séduire un instant par de fines dégradations et par ce que les peintres appellent d’insensibles « passages ; » mais, dès le dialogue de Jeanne avec saint Michel, autant il y a, dans les révélations, dans les injonctions de l’archange, de franchise, de droiture et d’éclat héroïque, autant les réponses de Jeanne, qui devraient être la naïveté même, en sont tout justement le contraire et nous déroutent, comme accent, comme intonation, par je ne sais quoi de laborieux, d’artificiel et d’alambiqué. La scène de la prison, plus que toute autre, nous donne cette impression d’apprêt, d’embarras et de malaise. Rien d’aussi contourné que l’introduction d’orchestre (une ritournelle de hautbois, pas davantage), sinon la complainte de Jeanne, que la dite ritournelle, après l’avoir annoncée, accompagne. On a peine à suivre ici la voix. Constamment elle hésite entre des notes douteuses, et quand elle se décide, c’est généralement pour les plus bizarres, que nulle relation, nulle affinité naturelle n’attire et ne rassemble. Rien de franc, de clair et de simple. Rien qui soit vraiment une mélodie, c’est-à-dire une ligne chantante, dont une pensée logique, un sentiment sûr ait choisi, groupé les sons et dessiné le cours. Il manque à ces pages capitales, ou qui devraient l’être, la sincérité, la flamme, et le souffle qui l’avive, le mouvement et l’élan généreux, en un mot, ou plutôt en deux mots, que Maurice Barrès a trouvés naguère pour définir l’éloquence d’Albert de Mun : « La spontanéité du cœur. »

Mais il s’en faut que le maniérisme soit toute la manière du musicien de Jeanne d’Arc, et nous n’eussions point signalé son œuvre pour y trouver seulement à redire. Plus d’un épisode ne saurait être jugé sur la simple lecture. On ne peut ainsi que deviner la grâce, la vivacité, le brio des rondes, enfantines, chantées et dansées autour de l’Arbre des fées, et qui forment une espèce de scherzo symphonique et choral. Orchestre et chœurs sont plus nécessaires encore pour donner, sinon l’idée, au moins la sensation — qui doit être