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plus éloquentes, voici, de M. Saint-Saëns, une marche, un chant belliqueux et populaire[1]. Le style du maître s’y retrouve en maint détail : dans la fuite d’une harmonie banale, ou dans l’emploi d’une autre, un peu sèche, mais vigoureuse ; dans le soin d’éviter, aux tournans, ou plutôt, la phrase ayant de la carrure, aux angles de la mélodie, la platitude d’une désinence ou d’une modulation.

Critique littéraire, essayiste, juste et sévère historien du romantisme français, dans un livre qui fit beaucoup de bruit, et de bien, romancier même à ses heures, M. Pierre Lasserre est connu de tous. Critique musical, sous le pseudonyme de Jean Darnaudat, qu’il honore presque autant que son nom véritable, nous ne l’estimons pas moins. Nous lui savons gré d’être, en musique aussi, un classique, un sage, de saisir entre les choses de notre art, entre les œuvres et les époques, les rapports nécessaires ou les lois, enfin et surtout de rattacher la musique, au lieu de l’en abstraire, comme font tant d’autres, aux modes généraux de la pensée, aux grandes disciplines de l’esprit. Et voici que M. Lasserre vient de publier, — pour quelques-uns, — deux « Chants de guerre, » dont il est à la fois le poète et le musicien[2]. Pourquoi cette publication restreinte ? Elle fait voir, croyons-nous, trop de discrétion et de modestie. Il ne s’agit point ici de chansons, moins encore de romances, mais plutôt de poèmes lyriques. Le premier a pour titre : « C’est la guerre, » en trois mois qui reviennent obstinément, non comme un refrain, mais comme une réponse, la pièce formant un dialogue, (et non des couplets), entre deux voix ou deux groupes de voix. Le premier chœur se compose de ces gens qu’on appelait encore l’an dernier de certains noms : « pacifistes, » ou autres, qui n’ont plus de sens aujourd’hui. A leurs camarades qui s’en vont bravement, gaiement, jeunes hommes des villes ou des campagnes, ils exposent leurs lâches, leurs honteuses raisons de rester. Et les partans, pour toute réponse : « C’est la guerre ! »

Peu à peu, le débat s’élargit et s’anime avec une verve, une chaleur, une éloquence, où la musique a plus de part que la poésie. A certaine peinture du pays natal, de la terre et du ciel de France, évoqués pour les retenir, les soldats répliquent par une évocation en quelque sorte identique et contraire. Mieux inspirés, ils attestent les mêmes spectacles, les mêmes beautés, mais héroïques, mais conseillères d’héroïsme, et signifiant pour eux au lieu de la douceur de vivre,

  1. Durand, éditeur, Paris.
  2. Édités par l’auteur, à Paris.