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Nous avons vu jusqu’où peut et doit aller l’esclavage : voyons comment s’acquiert et s’exerce la domination.


IV

Nous disons bien « domination, » et non pas seulement « prépondérance, » car Mommsen n’entend pas qu’un peuple supérieur puisse se contenter d’étaler le prestige de son génie, ou de diriger, par une influence librement acceptée, les nations qu’il entraîne dans son orbite- : il lui veut une autorité effective, irrécusable. « La simple hégémonie, dit-il à plusieurs reprises, ne peut longtemps durer ; elle devient toujours une souveraineté absolue. » Les États qui ne comprennent pas cette vérité, qui s’arrêtent à mi-chemin dans leur œuvre d’assujettissement, ne remplissent ni tout leur droit, ni même tout leur devoir. Là réside une des différences qui séparent Carthage de Rome, et qui la rendent inférieure. Elle n’a pas su ou pas voulu assimiler complètement les nomades de Libye, les « dénationaliser, » les changer en Phéniciens ; entre autres choses, elle leur a laissé leur idiome, au lieu que les Romains ont presque partout « étouffé » les langues indigènes. Mommsen préfère évidemment cette conduite : supprimer la langue et la nationalité des races conquises, n’est-ce pas un des premiers articles du programme de tout bon Allemand ? A Rome même, il y a eu des hommes d’État qui voulaient se borner à exercer sur les peuples vaincus cette sorte de protectorat que les anciens appelaient du nom de « clientèle : » c’est, dit Mommsen, une politique insoutenable, et Rome a eu bien raison d’y renoncer. Il parle en termes grandiloquens de la loi qui veut « que tout peuple constitué en État absorbe tôt ou tard les peuples voisins restés mineurs, que toute nation civilisée s’assimile celles qui sont intellectuellement au-dessous d’elle. » Il y a là une loi universelle, pour ainsi dire physique, comme celle de la gravitation. On voit toute la portée de ce principe : il sanctionne la thèse de l’impérialisme militant ; il affirme le droit naturel des peuples d’élite à s’assujettir les races inférieures, ou prétendues telles ; il autorise déjà ces rêves de domination « mondiale » qui ont suscité tant d’entreprises grandioses, et qui ont provoqué aussi tant de maux et de crimes.

A vrai dire, reconnaissons-le loyalement, Mommsen n’excuse