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pas ces crimes, — pas tous, — sous le prétexte qu’ils servent à une fin nécessaire. Il a, contre beaucoup de violences et de perfidies, les paroles de réprobation qu’on peut demander à un historien honnête homme. Il flétrit comme il convient les « odieuses injustices » de Rome envers les cités du Latium, son attitude « déloyale » dans le conflit entre Carthage et les Numides, ses « procédés indignes » en Orient, ses rigueurs et son manque de foi envers Syracuse. C’est sur un ton de mépris probablement sincère qu’il rapporte la fameuse maxime de Philippe de Macédoine, — laquelle pourrait être tout aussi bien de Frédéric II ou de quelque autre, — qu’un roi n’est tenu ni par sa parole ni par la morale[1]. Il appelle quelque part des siècles « épouvantables » ceux où l’on n’observe pas les lois de la guerre. Il écrit enfin ces lignes, auxquelles la conduite de ses compatriotes a donné depuis un démenti d’une ironie cruelle, mais qui n’en expriment pas moins un sentiment digne de respect : « L’antiquité n’a jamais connu ces relations pacifiques et amicales de nation à nation, persistant au milieu des querelles réciproques, qui semblent de nos jours le but principal du progrès civilisateur. Alors point de milieu : il fallait être le marteau ou l’enclume. » Sachons louer, pour imprévue qu’elle soit sous la plume d’un écrivain allemand, cette apologie du droit international.

Mommsen plaide aussi quelquefois la cause de l’humanité. Lorsque, après la seconde guerre punique, Scipion l’Africain est accusé par une coterie d’avoir manqué à son devoir en laissant vivre Carthage, Mommsen prend la défense de ce grand homme en termes éloquens : « Nous n’avons nul droit, nul motif, de suspecter sa détermination. Il n’obéit pas à l’impulsion de passions mesquines : il suivit simplement les généreux penchans de sa nature. Il ne voulut ni de l’abus inutile, ni des odieux excès de la victoire. N’était-ce pas attenter à la civilisation que de renverser brutalement une de ses colonnes ? Les temps n’étaient pas encore venus où les hommes d’Etat de Rome devaient se faire les bourreaux des nations voisines. » De même, racontant l’histoire de Mithridate, bien qu’il l’admire

  1. Il est vrai qu’il ajoute tout de suite : « Philippe fit si crûment parade de ses opinions malsaines, qu’on les tourna contre lui et qu’elles devinrent souvent le principal obstacle à ses plans. » Faut-il en conclure que Mommsen blâme, chez le roi de Macédoine, plus encore l’excès de franchise que l’absence de scrupules ?