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commencement à la fin de son livre, pour qu’ils s’appliquent à distinguer en lui le polémiste de l’historien, et que, tout en profitant de sa science, ils se défient de ses idées.

C’est là tout ce que nous demandons. Nous ne réclamons aucunement qu’on cesse de le lire, ni de le placer au rang qui lui est dû. Ce n’est pas que, si nous voulions lui opposer des gloires françaises, nous en fussions embarrassés. Il se peut que nous n’ayons pas eu, au XIXe siècle, un Mommsen, mais nous en avons eu beaucoup plus que la monnaie. Par exemple, avant lui, Victor Duruy avait fort bien aperçu la raison d’être de la conquête romaine et celle du gouvernement impérial : seulement, l’apologie qu’il en a faite est bien plus mesurée, et, si l’on ose dire, plus honnête que le panégyrique exubérant de Mommsen. Duruy ne se croit pas autorisé à cacher les fautes des héros ou des nations qu’il aime, encore bien moins à les présenter comme autant de merveilles. Surtout il est si loin de vouloir faire servir l’histoire à la démonstration d’une thèse politique, qu’ayant, tout prêt à paraître en 1849, un volume où il parle élogieusement de César et d’Auguste, il l’ajourne exprès, pour ne pas avoir l’air de soutenir le parti bonapartiste : il n’y a guère de plus bel exemple de respect pour la dignité de l’histoire. — On sait, d’autre part, quelles controverses notre excellent maître Gaston Boissier a engagées avec Mommsen, défendant contre lui la sincérité de Cicéron et l’héroïsme de Caton d’Utique. Il faut se donner le plaisir, après les derniers volumes de l’Histoire romaine, de relire Cicéron et ses amis. C’est une tout autre érudition, pas moins précise que celle de l’écrivain allemand, mais plus alerte, plus spirituelle, moins hantée par des préoccupations tendancieuses, plus équitable par conséquent, et pénétrant plus avant dans l’intelligence des réalités morales. En ce duel, l’artillerie légère française a très souvent et très joliment eu le dessus. — Et enfin, plus original que Duruy, plus profond que Boissier, Fustel de Coulanges a exercé sur les études romaines une influence qui ne le cède en rien à celle de Mommsen. Posant en principe que le véritable objet de l’histoire est l’âme humaine, il cherche à retrouver les sentimens fondamentaux de cette âme, mais à les retrouver tels qu’ils furent, même et surtout ceux qui sont les plus dissemblables de nos modernes états de conscience, et que Mommsen a tant de peine à saisir. Il poursuit cette recherche pour