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elle-même, sans y glisser aucun parti pris de secte, de culte, ni de nation. « Nous voudrions, écrit-il, voir planer l’histoire dans cette région sereine où il n’y a ni passions, ni rancunes, ni désirs de vengeance. Nous lui demandons ce charme d’impartialité parfaite qui est la chasteté de l’histoire. » Ce noble dessein, l’auteur de la Cité antique l’a fidèlement rempli ; et le calme hautain de sa pensée, la lucidité imperturbable de son analyse, la gravité sobre de son style, forment un heureux contraste avec les violences passionnées de son rival germanique. — Quels que soient donc les mérites de Mommsen, il y a certes beaucoup plus de probité chez Duruy, de finesse chez Boissier, de vraie intelligence chez Fustel. D’une pareille confrontation, la science française ne sortirait pas abaissée.

Mais, encore une fois, il ne s’agit pas d’établir des préséances, ce qui serait puéril, ni d’entamer une gloire légitime, ce qui serait injuste. Nous n’en voulons qu’à Mommsen chantre des surhommes et des surpeuples, à Mommsen avocat de la force, de la perfidie et de la dureté, à Mommsen précurseur de l’immoralisme nietzschéen et de l’impérialisme allemand. Cette séparation entre la science et la politique, qu’il n’a pas su ou pas voulu établir, nous nous attacherons à l’observer en relisant son œuvre. Et nous admirerons en lui le professeur d’histoire romaine, — mais nous détesterons le professeur de brutalité germanique.


RENE PICHON.