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fois désapprouver sa politique et encourager le kronprinz dans les critiques et les blâmes dont elle est l’objet de sa part.

Le conflit entre le ménage Frédéric et Bismarck, dont nous évoquons les détails, datait de loin. Dans les papiers du chancelier qui ont été livrés à la publicité, on peut lire, à la date du 30 juin 1863, une lettre très dure et très véhémente que lui adressait le prince, qui n’était encore que prince royal de Prusse et dans laquelle il lui reprochait de ne pas appliquer loyalement la Constitution du pays et d’être « pour la couronne un conseiller dangereux. » Peu de temps avant, à Dantzig, dans une tournée d’inspection militaire, le prince royal, répondant à une allocution du bourgmestre de la ville, avait déclaré publiquement qu’il n’approuvait pas la politique suivie par son père. Devant le scandale provoqué par cette déclaration, le roi Guillaume avait exigé qu’elle fût rétractée. Mais le prince royal s’était refusé à tout désaveu. Peu après, sa lettre avait paru dans divers journaux. À cette occasion, Bismarck, dans un mémoire au Roi, mettait en cause la princesse Victoria en l’accusant d’avoir livré la lettre à la presse britannique pour « affirmer son opposition au gouvernement du pays, tirer parti de l’incident de Dantzig et de l’émotion qu’il avait causée, et créer un mouvement populaire autour de son mari. »

La suite du mémoire constituait pour les jeunes époux une leçon humiliante dont ils devaient garder longtemps le souvenir. Il pèsera désormais sur leurs relations avec le chancelier, et, bien que, par la suite, elles se soient en apparence améliorées, surtout à l’époque des grandes guerres entreprises par la Prusse de 1864 à 1870, elles sont caractérisées par la vivacité sans ménagement avec laquelle Frédéric, dans sa correspondance avec Bismarck, blâme parfois sa marche politique. C’est ainsi par exemple qu’en 1864, au moment où la Prusse, de concert avec l’Autriche, attaque le Danemark, le prince, en écrivant au ministre prussien instigateur de cette guerre, n’hésite pas à lui laisser voir qu’il a deviné la duplicité dont le Cabinet de Berlin fait preuve envers son allié le Cabinet de Vienne et qu’il la trouve blâmable.

« J’ai cru comprendre que vous aviez quelque vue secrète, quelque idée d’agrandissement prussien. Laissez-moi vous donner brièvement mon opinion, à savoir que de tels projets